Réchauffement climatique, extrême gravité de la sécheresse en Europe, canicules, effet boule de neige (ou de réaction en cascade) entre tous ces facteurs de crise… Risque de modification brutale de la circulation océanique avec des conséquences incalculables… Cet article aborde trois points : l’explication de ce constat sans appel, l’évolution possible, et les politiques à mettre en œuvre.
Il est inutile, dans le cadre de cet article, d’égrener des faits et des chiffres démontrant la gravité extrême de la sécheresse qui frappe le continent européen. Mêmes celles et ceux qui ne suivent que peu l’actualité ont vu les images effrayantes du Pô asséché, de la Loire réduite à un filet d’eau, de la Tamise tarie à la source et sur huit kilomètres, du Rhin si bas que la navigation y devient impossible,… Cette situation sans précédent est le résultat d’un déficit de précipitations grave, accumulé depuis la fin de l’hiver, après plusieurs années consécutives de sécheresse. L’eau est devenue rare et, dans certaines régions, très rare.
Il est tout aussi inutile d’aligner des données concernant la canicule. C’est peu dire que les températures « sont supérieures aux moyennes saisonnières », comme on dit à la télévision : elles les dépassent de beaucoup. La barre des 40°C a été franchie à plusieurs reprises dans de nombreuses régions – y compris des régions au climat tempéré maritime, comme la Grande-Bretagne. La canicule aggrave évidemment la sécheresse. L’actuelle combinaison des deux phénomènes est exceptionnelle par son ampleur géographique, son intensité et sa durée.
On abordera brièvement trois points : les explications et leur cause, l’évolution possible, et les politiques à mettre en œuvre.
Explications et causalité
Commençons par les explications. On se réfèrera utilement à ce bon article de vulgarisation du site RTBF-Info. [1]. Il explique simplement, et schémas à l’appui, comment le dédoublement du jet stream polaire enferme un anticyclone (une zone de haute pression) dans une région géographique, de sorte qu’une masse d’air chaud reste bloquée durablement au-dessus de celle-ci.
L’articulation du dédoublement du jet avec le déplacement vers le Nord de l’anticyclone des Açores fait l’objet d’un débat entre scientifiques. Comme le dit l’auteur de l’article : pour certains, « c’est l’anticyclone qui provoque le dédoublement du jet » ; pour d’autres, « c’est le dédoublement qui favorise la remontée de l’anticyclone ». Une chose est sûre : « le dédoublement est bel et bien une réalité qui accroît à nos latitudes l’ampleur des périodes sèches et chaudes ».
Autre certitude : il ne fait guère de doute que le réchauffement de la planète est la cause sous-jacente du dédoublement du jet stream. En effet, la stabilité de celui-ci est conditionnée par le différentiel de température entre le pôle et l’équateur. Comme le réchauffement dans l’Arctique est plus important que la moyenne globale, le différentiel s’affaiblit et le jet stream devient plus irrégulier, plus lent, plus capricieux, ce qui peut conduire à son dédoublement.
Canicule et sécheresse sont donc très clairement attribuables au changement climatique contre lequel le GIEC met en garde depuis trente ans. Selon le dernier rapport du GIEC (GT1) « il est virtuellement certain que la fréquence et l’intensité des vagues de chaleur a augmenté depuis 1950 (au niveau global) et continuera d’augmenter à l’avenir même si le réchauffement global est stabilisé à 1,5°C ». Le rapport précise que « la conjonction de vague de chaleur et de sécheresse a probablement augmenté » et que « cette tendance va continuer ». Concernant l’Europe, le rapport projette (avec un haut niveau de confiance) une augmentation des inondations pluviales dans le N-E du continent et une augmentation des sécheresses dans la région méditerranéenne, avec réduction des précipitions estivales dans le SE.
Pas de surprises, donc : la réalité observée est conforme aux projections scientifiques. A ceci près, et ce n’est pas un détail, qu’elle les dépasse de loin. De très loin.
En réalité, tout va beaucoup plus vite que ce qu’indiquaient les modèles mathématiques. Les climatologues interviewés par la presse ne cachent pas leur surprise face à des températures qui bondissent soudainement 4° ou 5°C au-dessus des moyennes saisonnières. De tels extrêmes étaient plutôt attendus vers 2030, ou au-delà – au cas où les gouvernements auraient continué à ne (presque) rien faire.
Il faut avoir ce constat en tête pour aborder le deuxième point : l’évolution possible.
Ce que l’avenir nous réserve et risque de nous réserver
Comme d’autres, j’ai attiré souvent l’attention sur une publication scientifique assez récente et qui a fait beaucoup de bruit [2]. Signée par des sommités du domaine, elle traite des rétroactions positives du réchauffement (autrement dit les effets du réchauffement favorisant le réchauffement). Son originalité est d’examiner la manière dont des rétroactions positives pourraient s’alimenter l’une l’autre dans une sorte d’effet boule de neige, ou de réaction en cascade.
La citation suivante est limpide : « des rétroactions en cascade pourraient pousser le système terrestre vers un seuil planétaire qui, s’il était franchi, pourrait empêcher de stabiliser le climat à des hausses de température intermédiaires et provoquer un réchauffement continu en direction d’une « planète étuve », même si les émissions humaines sont réduites ».
Selon les auteurs/trices de l’article, le processus pourrait s’enclencher à un niveau de réchauffement relativement bas, entre +1°C et +3°C.
Une des rétroactions les plus susceptibles d’enclencher le processus est la déstabilisation de la calotte glaciaire du Groenland. Cette calotte constitue un point de fragilité particulier. Les spécialistes estiment que le point de bascule de sa désintégration se situe quelque part entre +1° (+1,5°C selon le GIEC) et +3°C de réchauffement moyen. Nous serions donc déjà dans la zone dangereuse, ou en train de nous en rapprocher à vive allure (à politique inchangée, le +1,5°C sera franchi avant 2040, selon le GIEC).
Si ce point de bascule était franchi, quelles seraient les conséquences ? Dune part, l’afflux d’eau dans l’océan accélèrerait la montée du niveau des mers. Le processus mettrait longtemps à arriver à son terme – un nouveau point d’équilibre – mais serait irréversible. D’autre part, cet afflux pourrait entraîner un effondrement abrupt, soudain, de la circulation océanique appelée AMOC (Atlantic Middle Ocean Circulation), qui conditionne le climat des régions bordant l’Atlantique. Et là, les impacts seraient immédiats.
Voici ce que le récent rapport du Groupe de Travail 1 du GIEC dit du risque d’effondrement de l’AMOC : « Le déclin de l’AMOC n’inclura pas un effondrement abrupt avant 2100 (degré de confiance moyen). MAIS un tel effondrement pourrait éventuellement (might) être provoqué par un afflux inattendu (de masses d’eau) provenant de la calotte du Groenland. En cas d’effondrement, celui-ci causerait très probablement des basculements abrupts des climats régionaux et du cycle de l’eau : un déplacement vers le Sud de la ceinture de pluies tropicales, un affaiblissement des moussons en Afrique et en Asie, un renforcement des moussons dans l’hémisphère sud et un assèchement en Europe » (GT1, Technical summary, p. 73, je souligne).
Tout est évidemment dans ce « mais » qui ouvre la possibilité de « basculements abrupts ». Une chose est certaine : les conséquences de ces basculements seraient extrêmement sévères pour les écosystèmes et les populations. En particulier évidemment pour les masses pauvres d’Asie et d’Afrique. Des centaines de millions d’humains seraient confrontés à des situations dramatiques.
Comme on l’a lu, l’Europe ne serait pas épargnée. La péninsule ibérique est particulièrement menacée. La désertification y progresse depuis des années. Elle franchirait un seuil qualitatif, irréversible à l’échelle humaine.
Quel est le lien éventuel avec la sécheresse et la canicule actuelles, sachant que le Groenland n’est pas enserré par le dédoublement du jet stream qui explique celles-ci. Le lien consiste en ceci que, pour une série de raisons, le réchauffement sur l’Arctique est deux fois plus important que la moyenne mondiale. Selon le GIEC, il est « virtuellement certain » que la calotte groenlandaise perd de sa masse depuis 1990 » : les spécialistes estiment que 4890 gigatonnes (milliards de tonnes) de glace (+- 460) ont fondu entre 1992 et 2020, entraînant une hausse du niveau des océans de 13,5 mm.
Le GIEC souligne (une fois de plus !) un point importantissime : ces projections sont basées uniquement sur les estimations de fonte de la glace : elles n’incluent pas les processus dynamiques qui accélèreraient la perte de masse (le détachement d’énormes fractions de la calotte glissant dans l’océan), parce que leur « quantification est hautement incertaine », écrit le GIEC.
Au vu de ce qui se passe ailleurs sur la planète, il n’est pas déraisonnable de craindre que l’évolution, au Groenland aussi, soit plus rapide que ce que projettent les modèles. C’est un euphémisme. En fait, un certain nombre d’indices pointent clairement dans ce sens.
C’est ainsi que, fin juillet 2022, la température au Groenland a dépassé de beaucoup les normales saisonnières. La fonte de la glace a été deux fois plus importante que les autres années à la même période. En trois jours, on estime que 18 milliards de tonnes de glace ont été transformées en eau. Des scientifiques ont calculé que la quantité d’eau ainsi libérée couvrirait le territoire de la Virginie occidentale (62.259 km2) d’une couche d’eau d’une trentaine de centimètres. Cette accélération des processus de fonte est sans précédent.
Inutile de s’étendre davantage : l’avenir climatique est plus menaçant que jamais. Les voyants sont au rouge, clignotent avec insistance, et les plus pauvres, les plus fragiles risquent d’en prendre plein la figure.
Que faire ? (air connu)
Passons aux politiques à mettre en œuvre. La catastrophe est en cours et le GIEC nous dit qu’elle continuera de progresser « même si le réchauffement est limité à 1,5°C ». Notons en passant que le désastre actuel est le produit d’un réchauffement de 1,2°C « seulement » par rapport à l’ère préindustrielle. Il n’est pas très difficile d’imaginer la suite…
Vu la situation, il va de soi qu’on ne peut pas se contenter d’exiger des mesures radicales de réduction des émissions de gaz à effet de serre : ces mesures sont évidemment indispensables – plus que jamais ! – mais elles doivent se combiner à une politique immédiate et très concrète d’adaptation au réchauffement observé et prévisible.
Face à la combinaison de plus en plus fréquente et intense de sécheresse et de canicule, que faire pour protéger les gens, les plantes et les animaux ? Une vision à court, moyen et long terme est nécessaire. Elle doit viser à articuler un plan public d’adaptation qui soit à la fois contraignant (pour être efficace) et flexible (pour être adaptable à l’imprévu).
Ce plan doit comporter des volets prioritaires en matière de gestion de l’eau, de prévention des effets sanitaires de la chaleur extrême (pour les personnes fragiles et au niveau des villes, confrontées au phénomène des « îlots de chaleur »), d’agriculture-foresterie, d’aménagement du territoire, d’infrastructures et d’énergie.
Le dernier rapport du deuxième Groupe de travail du GIEC peut donner des idées sur la manière de concevoir le plan et de lutter pour le plan à partir des mouvements sociaux. Ce rapport n’est évidemment pas anticapitaliste, mais on y lit que « les stratégies de développement dominantes vont à l’encontre d’un développement soutenable du point de vue climatique ». Les raisons citées sont : le creusement des inégalités de revenus, l’urbanisation sauvage, les migrations et déplacements contraints, la hausse continue des émissions de gaz à effet de serre, la poursuite des changements d’utilisation des sols, l’inversion de la tendance de long terme à l’allongement de l’espérance de vie… (IPCC, AR6, WG2, full report, 27/2/2022).
La dénonciation des politiques néolibérales est implicite, mais assez claire.
En positif, le rapport du GIEC insiste à juste titre sur le fait que l’adaptation aux changements climatiques doit être holistique, sociale, démocratique, participative, réduire les inégalités, s’appuyer sur les groupes sociaux les plus faibles, renforcer les positions sociales des femmes, des jeunes et des minorités, etc. Mais sa démarche est axée sur les décideurs qu’il cherche à convaincre, pas sur les mouvements sociaux et leurs luttes. Or, c’est de ces mouvements sociaux que tout dépend, pas des gouvernements.
Ce n’est pas le lieu ici d’élaborer un catalogue de revendications, on se contentera de quelques indications et réflexions.
La gestion de l’eau est un point clé. Comme l’écrit le GIEC (GT2), « le maintien du statut de l’eau comme bien public est au cœur des questions d’équité ». C’est le fil à plomb.
Il implique notamment de mettre en question l’accaparement des ressources en eau par les groupes capitalistes producteurs d’eau en bouteille et de boissons diverses, celui des forêts par les producteurs de pâte à papier, de pellets ou d’autres marchandises (cf les dégâts écologiques et humains des plantations d’eucalyptus au Portugal !), celui des nappes phréatiques par l’agrobusiness (en Andalousie, par exemple).
Mais le fil à plomb de l’eau comme bien public implique aussi une foule de demandes concrètes plus immédiates : revenir en arrière sur l’imperméabilisation des surfaces, sur la mise à l’égout des eaux de pluie, sur la rectification des ruisseaux, sur la destruction des zones humides ; promouvoir des techniques agricoles et forestières qui restaurent les sols et leur capacité d’absorption en limitant le ruissellement ; réorienter beaucoup plus radicalement l’agriculture vers l’agroécologie ; sans oublier l’investissement dans le réseau de distribution (en Wallonie, par exemple, 20% de l’eau produite n’est pas facturée – les fuites du réseau sont donc très importantes).
Une gestion rationnelle, sociale et écologique de l’eau nécessite une autre politique tarifaire. La politique libérale du « coût-vérité » est socialement injuste, puisque tous les consommateurs/trices paient pour l’épuration des eaux usées en grandes quantités par l’industrie. Par ailleurs, la politique néolibérale incite au gaspillage de la ressource, puisque les rentrées financières du distributeur dépendent en partie du fait que les usagers paient aussi pour l’épuration -inutile !- des eaux de pluie mises à l’égout…
Un autre système doit être mis en œuvre : pour les ménages, gratuité de la consommation correspondant à la satisfaction raisonnable des besoins réels (boire, se laver, laver la maison, faire la vaisselle et la lessive…), puis tarification rapidement progressive au-delà de ce niveau.
La protection des personnes devrait être une autre priorité effective. Ce n’est pas le cas. Dirigée par le climatologue JP van Ypersele, la Plateforme wallonne pour le GIEC note ainsi que la canicule de 2003 a fait plus de 1200 morts tandis que celle de 2020 en a fait plus de 1400… Entre les deux dates, rien n’a donc été fait… en dépit des promesses [3]…
Un plan public d’adaptation aux chaleurs extrêmes devrait au minimum organiser le verdissement systématique des agglomérations (des arbres partout, pour donner de l’ombre) ainsi que l’isolation thermique de tous les hôpitaux, écoles, homes pour personnes âgées ou moins valides.
Plus largement, il faut réaffirmer la nécessité urgente d’isoler et de rénover tous les logements. Non seulement pour réduire radicalement les émissions du chauffage (et de la climatisation !) mais aussi pour la protection de la santé et du bien-être. En cette matière comme en d’autres, le constat est là : les politiques néolibérales d’incitation par des mécanismes de marché sont à la fois inefficaces écologiquement et injustes socialement. Cette politique de gribouille doit céder la place à une initiative publique, faute de quoi les solutions individuelles telles que l’achat de climatiseurs prévaudront, entraînant une hausse de la consommation d’énergie et des émissions de CO2.
Le GIEC insiste sur l’importance d’une politique holistique, qui envisage à la fois l’adaptation au réchauffement et la réduction des émissions (« mitigation », dans le jargon). Typiquement, le secteur de l’énergie est à cheval sur les deux domaines. Il manque d’eau pour refroidir les réacteurs nucléaires. Au vu des projections, cette réalité ne peut que s’aggraver dans les années qui viennent, de sorte que la politique d’adaptation sera confrontée à des alternatives infernales : l’eau doit-elle servir en priorité à refroidir les centrales (en réchauffant les rivières !) pour produire de l’électricité ? à boire ? ou à arroser les cultures ? (et quelles cultures ?) Raison de plus (il y en a beaucoup d’autres !) pour ne pas miser sur le nucléaire comme solution de « mitigation »…
Je ne reviens pas ici sur les mesures à prendre en matière de réduction structurelle des émissions de gaz à effet de serre, j’y ai déjà consacré de nombreux écrits. En bref : l’énergie et la finance doivent être socialisées, au même titre que l’eau, il faut sortir de l’agrobusiness et organiser la fin rapide de la mobilité basée sur la voiture individuelle. Ce bouquet de transformations structurelles profondes constitue la condition nécessaire – mais non suffisante – d’une décarbonisation rapide et effective de l’économie mondiale.
Sans ce remède anticapitaliste de cheval, il s’avèrera rigoureusement impossible de respecter les contraintes climatiques explicitées par les scientifiques. Dans ce cas, la « planète étuve » de Johann Rockström est des autres auteurs/trices évoqués plus haut deviendra très certainement une réalité irréversible. Cela signifierait un cataclysme humain et écologique d’une ampleur inimaginable. Inconcevable.
Politique climatique « notionnelle » ou écosocialisme ?
A quelque chose malheur est bon : tous et toutes peuvent aujourd’hui prendre conscience de l’extrême gravité de la situation et du danger terrible auquel nous sommes confronté.e.s. Je reproduis ici un extrait d’un post publié le 11 août sur les réseaux sociaux, concernant la sécheresse en Europe :
« Avec les inondations (de 2021 en Belgique et en Allemagne), le changement climatique nous a donné pour ainsi dire un coup de bâton sur la tête. Un coup de bâton, ça fait mal, ça peut tuer celles et ceux qui sont en première ligne. Avec la sécheresse, le réchauffement montre qu’il peut nous prendre à la gorge et serrer lentement, chaque jour un peu plus, sans se presser, de sorte que nous aurons tout le temps de voir la mort progresser – les plus lucides la voient déjà : la mort des végétaux, la mort des rivières, la mort des animaux, notre propre mort. Car comment pourrions-nous survivre quand tout disparaît ? » [4]
Face à cet enjeu, tous et toutes peuvent aussi prendre conscience du fait que les politiques des gouvernements sont totalement inadéquates, et, pour tout dire, criminelles.
Ces politiques ne permettent pas de réduire les émissions rapidement (les émissions continuent d’augmenter !) pour arriver au « zéro carbone » en 2050. C’est même l’inverse qui se passe sous nos yeux : la reprise post-pandémie et la guerre de Poutine contre le peuple ukrainien ont déclenché tous azimuts une ruée sans complexe sur les combustibles fossiles (charbon en Chine, en Russie, en Turquie ; lignite en Allemagne ; gaz de schiste aux Etats-Unis ; gaz dans l’Union Européenne). Avec à la clé une frénésie d’accaparement néocolonial, de rivalités entre puissances et de gestion barbare des migrations.
Non seulement les politiques climatiques des gouvernements sont inefficaces, non seulement elles accroissent les inégalités sociales, mais en plus elles ne protègent pas les populations contre les catastrophes. Cette protection des populations est pourtant, en théorie, la tâche constitutionnelle élémentaire de tout gouvernement, de tout Etat.
Ce formidable gâchis est un facteur potentiel d’approfondissement spectaculaire de la crise de légitimité des puissants de ce monde, quel que soit le « camp » auquel ils appartiennent.
L’instabilité ainsi créée ne devrait pas manquer d’avoir des répercussions sur le plan idéologique. Nous en avons eu un exemple récemment, en Belgique, avec la tribune libre en forme d’autocritique que M. Bruno Colmant a publiée dans « La Libre » [5].
Dans ce texte, l’ex-chef de cabinet du très libéral Didier Reynders, l’économiste qui a conçu l’arnaque des « intérêts notionnels », estime que « le capitalisme néolibéral n’est plus compatible avec le défi climatique ».
M. Colmant a raison : le « libre marché » ne nous sortira pas de l’impasse. Relever le défi climatique requiert impérativement un plan public, des objectifs sociaux et écologiques autres que le profit, des moyens publics, donc une redistribution radicale des richesses, à rebours des « réformes néolibérales ».
Cependant, ayant critiqué le « capitalisme néolibéral », M. Colmant se retrouve dans la position inconfortable de celui qui s’arrête au milieu du gué.
En effet, le dogme néoliberal du marché libre n’est pas le seul obstacle sur la voie d’une gestion rationnelle de la catastrophe climatique : l’obligation capitaliste de la croissance en est un autre, encore plus fondamental, et que M. Colmant n’est pas prêt de surmonter. Un capitalisme non liberal, keynesien ou néokeynesien, cela peut exister. Un capitalisme sans croissance, c’est, comme disait Schumpeter, une contradiction dans les termes. Or, sans décroissance de la consommation finale d’énergie – donc sans décroissance de la production et des transports – il est exclu d’atteindre le « zéro émissions » en 2050. Même en balayant le carbone sous le tapis à coups de « compensations », de « capture-séquestration », et autres « réductions notionnelles d’émissions », c’est exclu.
C’est une nécessité objective : il faut produire moins, travailler moins, transporter moins, partager les richesses, prendre soin prudemment et démocratiquement des êtres et des choses. Il faut, en d’autres termes, casser la machine capitaliste productiviste. Productiviste ? on devrait dire « destructiviste », tant il est clair que « le Capital ruine les deux seules sources de toute richesse : la Terre et le travailleur » (comme disait Marx après son tournant anti-productiviste).
La guerre du climat a commence et c’est une guerre de classe. Je veux dire par la qu’elle requiert un point de vue sur les besoins REELS des hommes et des femmes, c’est-a-dire un point de vue débarrassé de l’aliénation marchande et de la course au profit égoïste qui fait voir la réalité sur sa tête.
En dehors d’une orientation écosocialiste, internationaliste, féministe, il n’y aura pas de salut. Organisons-nous pour le dire et pour agir dans cette perspective, par-delà les frontières, les « camps » et les « blocs ». En somme, c’est le moment d’oser être révolutionnaires.
Daniel Tanuro, le 13 août 2022