Afin de stopper la « contre-réforme » du régime des retraites, il faut « agréger les forces pour gagner cette bataille », notamment à l’occasion de la « marche » prévue le 16 octobre à Paris par plusieurs organisations de gauche, explique, dans une tribune au « Monde », la députée (LFI) de Seine-Saint-Denis.
Rien ne sera donc lâché sur le fond pour pouvoir achever notre système de retraite. Certes, le gouvernement a fait mine de reculer sur la forme. La menace d’un amendement dans le projet de budget de la Sécurité sociale visait sans doute à rendre l’atterrissage sur une loi en janvier plus acceptable d’un point de vue démocratique. Mais le porte-parole du gouvernement, Olivier Véran, a trouvé la formule qui ne laisse aucun doute sur le passage en force assumé pour porter l’âge de départ à 65 ans : le pouvoir en place le fera « quelle que soit la méthode ».
Nous y revoilà ! La contre-réforme des retraites avait été jetée par la fenêtre, elle revient par la porte. Début 2020, nous avions mené une intense noria parlementaire avec 19 000 amendements déposés pour le seul groupe de La France insoumise (LFI), pendant qu’une mobilisation historique se déployait dans la rue.
Pour avoir siégé jour et nuit à la commission spéciale retraites puis dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale, j’ai été aux premières loges de cette bataille. J’y ai observé l’impréparation et l’obstination de la Macronie. J’y ai vu se déployer le mépris des oppositions et le mensonge répété, avec un rapport de 1 000 pages truffé de projections totalement farfelues. J’y ai entendu la défense acharnée de l’austérité et de la loi du marché.
Avec la méthode de l’obstruction, nous avions gagné du temps. Le Covid-19, en février 2020, avait achevé de freiner un gouvernement emmuré dans son dogmatisme. Nous avions bien conscience d’avoir remporté une victoire par effraction. Mais, devant l’impopularité de son attaque envers une conquête sociale aussi emblématique que notre système de retraite, Emmanuel Macron avait dû rétropédaler un peu pendant la campagne présidentielle. L’idée « n’a jamais été de passer l’âge légal de 62 à 65 ans du jour au lendemain », déclarait-il alors. Et pourtant…
Chômage croissant des seniors
L’entêtement au sommet de l’Etat pour détruire notre régime n’a pas pris une ride. Rien n’y fait. Ni les nombreux démentis apportés par le Conseil d’orientation des retraites (COR) à la désinformation éhontée sur le soi-disant « déficit » du système – en réalité excédentaire, avec une trajectoire maîtrisée jusqu’en 2070. Ni le taux de chômage croissant des seniors qui devrait décourager toute idée d’allonger le temps dans l’emploi. Ni le fait que les femmes et les précaires seraient les grands perdants d’un allongement de la durée de cotisation et d’une remise en cause du système par répartition.
Ni l’opposition massive dans le pays : aujourd’hui sept Français sur dix rejettent l’idée d’un nouveau recul de l’âge de départ à la retraite [selon un sondage Elabe pour BFM-TV fin septembre] ! Rien n’aura donc ébranlé un pouvoir attaché à cette contre-réforme comme un char d’assaut à sa cible.
L’heure est à l’offensive. Car nous ne devons pas, nous ne pouvons pas accepter une telle régression. Travailler plus longtemps ne sera jamais un progrès, pas plus qu’abaisser le niveau des pensions. Et ce sont les meilleures années de retraite qui nous seraient amputées. Je rappelle qu’un quart des plus pauvres sont déjà morts à l’âge de 62 ans – contre 5 % dans la tranche des plus riches.
Par ailleurs, nous devons nous attendre à une attaque historique de ce qui fonde notre contrat social depuis 1945 : notre système par répartition. Si la France est aujourd’hui l’un des pays qui a le plus faible taux de pauvreté chez les retraités, les coups de boutoir de la Macronie pourraient nous précipiter dans une ère d’incertitude et de paupérisation accrue.
Depuis plus de cinq ans, le gouvernement n’a cessé de favoriser la fiscalité et les revenus des hyperriches. Son empressement à mener cette contre-réforme contestée jusque sur ses propres bancs doit être lu à l’aune de ces faveurs. C’est tout le sens de ces paroles d’Emmanuel Macron : « La réforme des retraites est une nécessité (…) Refonder l’hôpital et l’école, ça coûte de l’argent. » Les caisses publiques, pillées par les multiples niches fiscales, incitations, baisses d’impôts – quand ce ne sont pas leurs pures et simples suppressions, comme ce fut le cas pour l’ISF, acte fondateur de la Macronie –, doivent être remplies coûte que coûte. Le recul de l’âge du repos sera pris sur la chair des travailleuses et travailleurs.
Un choix de société
Pour mettre en œuvre les chantiers qui nous attendent, de la nécessaire et urgente planification écologique à la refondation de notre système de soins et d’éducation, des moyens existent. La simple taxe sur les superprofits pourrait rapporter à l’Etat près de 10 milliards d’euros. Ne pas supprimer l’impôt de production, la fameuse cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), permettrait de dégager 8 milliards. C’est le montant exact de ce que le gouvernement dit pouvoir engranger « grâce » à la destruction des retraites. Mais, comme l’a relevé le COR, il oublie de comptabiliser les répercussions de sa réforme en matière de chômage, de solidarité et de santé.
Le gain budgétaire serait en réalité un mirage. C’est dire s’il n’y a aucune fatalité à travailler plus longtemps et à voir fondre les montants des pensions. Il s’agit d’un choix de société. Veut-on favoriser les revenus du capital et des hyperriches ou consolider les droits et protections de la masse de la population ? Là est la question.
Nous sommes une majorité à refuser l’érosion sans fin de nos droits à la retraite. Le gouvernement doit être arrêté dans sa folle démolition de nos droits à la retraite. Loin de la sidération et de la résignation, il faut agréger les forces pour gagner cette bataille.
Notre marche du dimanche 16 octobre à Paris [appelée par La France insoumise, le Parti socialiste, Europe Ecologie-Les Verts et d’autres organisations politiques et associatives « contre la vie chère et l’inaction climatique »] en est l’occasion. Saisissons-la, tout en donnant partout et largement de la voix contre ce projet inacceptable. C’est à nous toutes et tous, majorité opposée à cette régression sociale, qu’il revient d’empêcher ce massacre.
Clémentine Autain, députée La France Insoumise
Cet article est paru initialement dans le quotidien Le Monde