« Nous n’avons pas de politique à avoir pour la jeunesse. » Cette promesse de Macron, il faut le reconnaître, est tenue : vous n’avez pas de politique pour la jeunesse. A Arnaud, Amanda, Pierrick, Sabrina et les millions d’autres vous que ça à leur offrir : 150€ et un Mars.
C’est le président de la République qui s’exprimait ainsi, devant des étudiants, l’an dernier, dans ma ville, à Amiens. Et cette promesse, il faut le reconnaître, est tenue : Vous n’avez pas de politique pour la jeunesse. Et c’est criant, surtout par temps de confinement.
Après le printemps, voici l’automne, et rebelote : tout le pays, mais la jeunesse, surtout, la jeunesse et ses hormones qui bouillonnent, la jeunesse qui cherche son chemin, la jeunesse, cet âge des possibles, des tentatives, des échecs, la jeunesse va renoncer à ses envies, à ses sorties, la jeunesse va s’enfermer chez elle.
La jeunesse qui paie la crise
Et pour quoi ? Pour protéger les plus âgés. C’est bien. Mais quelle récompense reçoit-elle pour son civisme, pour son altruisme ? Rien. Pire : elle en est punie. C’est elle, la jeunesse, qui la première paie le prix de la crise. Tandis que les ménages français ont, cette année, fait cent milliards d’économies, les plus riches d’abord, qu’arrive-t-il à la jeunesse ? 40% ont perdu des revenus. Le taux de pauvreté était déjà, chez les jeunes, trois fois plus élevé, et à coup sûr il va s’aggraver.
Et ce n’est pas qu’un chiffre théorique, ce sont des jeunes femmes, des jeunes hommes, qui peinent pour leur factures, qui renoncent à se soigner, qui ne s’achètent plus de serviettes hygiéniques. Ce sont des jeunes femmes, des jeunes hommes, qui – les associations en témoignent – recourent aux colis alimentaires pour se nourrir.
C’est Amanda, en Master à Lyon, 300 euros par mois après loyer, qui a perdu ses baby-sitting, et qui sans ces petits boulots, renoncent au médecin, aux soins pour ses dents, aux allers-retours le week-ends chez ses parents.
C’est Sabrina, à Flixecourt, mention bien au bac, prise en BTS management mais sans entreprise pour l’alternance – et qui, faute de sous, ne peut en profiter pour passer le permis.
C’est Pierrick, à Douai, intérimaire chez Amazon, au bord d’être embauché, désormais sans mission, et sans un rond.
C’est Arnaud, à Tours, qui ne prend de repas ni le matin ni le midi, et achète encore moins le Code civil pour ses études de droit.
Et à eux, vous leur offrez quoi ? 150 balles et un Mars.
Un vaste plan de sécurité sociale pour la jeunesse
Souvent, notre pays s’est grandi à travers les épreuves. C’est au cœur de la nuit nazie, de la plus terrible de nos épreuves, que fut conçu, prévu, le « vaste plan de Sécurité sociale ». Jusqu’alors, dans les classes populaires, on vieillissait dans la misère, aux crochets de ses enfants. Qu’ont fait nos ancêtres, alors ? Ils sont passés d’une solidarité familiale à une solidarité sociale, nationale, et en trente ans, en une génération, une malédiction millénaire fut vaincue : grâce aux retraites, la pauvreté chez les personnes âgées fut brisée, passa sous la moyenne.
Je vous demande quoi, aujourd’hui, dans l’urgence ? Le même mouvement : que l’on passe d’une solidarité familiale, avec les familles qui ont les enfants d’aider leurs enfants, d’autres pas, à une solidarité sociale. « J’ai vécu, à un moment donné, quand j’étais adolescent, avec environ 1000 euros par mois, déclarait le président. Donc, je sais ce que c’est que de boucler une fin de mois difficile. » Voilà la jeunesse difficile d’Emmanuel Macron. Mais 1000 €, c’est un rêve pour bien des jeunes !
La jeunesse, oubliée de l’Etat social
Et ces 1000 €, nous ne vous les demandons même pas. En revanche, nous défendons ce principe : à 18 ans, un jeune peut voter, peut aller en prison, pourquoi le priver des minima ? La majorité sociale doit coller à la majorité politique, à la majorité pénale. Ca n’est pas un idéal : juste le minimum. Voilà pour gagner sa vie, mais encore faut-il lui donner un sens. Par le travail, oui. Par l’utilité commune.
Amanda, Pierrick, Arnaud ou Sabrina, et des millions de jeunes avec eux, auront à affronter le réchauffement climatique, des catastrophes en série – dont le Covid n’est qu’un prémice. Voilà la toile de fond, tragique, de leurs consciences. «Qu’ils aillent manifester en Pologne ! », leur conseillait le président. « Défiler tous les vendredis pour dire que la planète brûle, c’est sympathique, mais ce n’est pas le problème. » Eh bien, justement, ces jeunes veulent agir.
Et toujours dans le même esprit : usons de cette crise pour inventer, pour innover, pour nous grandir. Après la crise de 1929, Roosevelt avait créé le « Corps de protection de l’environnement », avec des travaux de reboisement, contre l’érosion, contre les inondations, avec des centaines de milliers de chômeurs embauchés.
De la décence et du sens pour la jeunesse
C’est la même ambition qui devrait nous habiter, pour faire naître des nouveaux secteurs, des nouveaux métiers : des ateliers de réparation dans toutes les villes, tous les cantons, tous les quartiers. Des haies à planter partout, contre les coulées de boue. Des conciergeries pour les habitants, les personnes âgées. De l’agriculture de proximité. Autant de besoins qui existent, mais qui ne seront jamais rentables, jamais satisfaits par la main invisible du marché.
Alors, créons ces emplois ! Agissez ! A la place, vous versez des milliards, des dizaines de milliards à Amazon, Sanofi, Auchan, Carrefour, dans l’espoir que ça ruisselle – et qu’ils embauchent Amanda, Pierrick, Arnaud ou Sabrina. « Je ne vais pas interdire Uber et les VTC, prévenait le président. Ce serait les renvoyer vendre de la drogue à Stains. » N’enfermez pas cette jeunesse de Stains et d’ailleurs dans vos propres œillères, entre Uber et dealer.
De la décence, et du sens : pour eux, faites une exception, un effort d’imagination, un petit pas dans l’Histoire. Plutôt que de prétendre « libérer leur énergie », canalysez-là, donner leur les moyens de l’utiliser utilement, Appuyez-vous sur leurs envies, leurs appétits, pour qu’ils se rendent utiles aux pays, qu’ils comblent vos lacunes, qu’ils réparent ce que vous abîmez.
Le 2 novembre 2020