La construction de la Nouvelle union populaire écologiste et sociale (NUPES) est un évènement politique majeur dans le paysage des forces de gauche et écologistes depuis 2017. La haine déchaînée et coalisée des forces pro-Macron, LR, extrême-droite, en est une preuve manifeste : appels contre les « extrêmes » pour les uns, menaces sur la « sortie de l’Europe » pour les autres, signal d’ouverture des frontières pour les hordes du « grand remplacement » (pour le RN). Oui le clivage gauche/droite revient et c’est une clarification salutaire pour le débat public. On a beaucoup commenté chez les éditorialistes la médiocrité du débat présidentiel. Mais c’était en grande partie le résultat de l’installation d’un duel infiniment démoralisant entre le soi-disant « progressisme » élyséen, « de droite et de gauche », et le marécage « identitaire » de Le Pen.
Mais si cette alliance des gauches et de l’écologie politique, conclue en quelques jours, s’est avérée possible, c’est qu’elle correspond à une attente de plus de 90% du « peuple de gauche » (selon des études d’opinion récentes). Une attente exprimée depuis des mois, même si le quinquennat Hollande avait abîmé jusqu’au dégoût le sens du mot « gauche », comme en témoignent encore les chiffres de l’abstention. La société était donc « grosse » de cette possibilité à gauche, et l’accouchement a eu lieu. La France Insoumise l’a proposé fort heureusement pour des élections législatives qui s’annonçaient menaçantes. L’accord ne se fait donc pas à l’issue d’un débat public et pluraliste qui aurait pu remobiliser les mêmes forces, plus celles du mouvement social, les collectifs citoyens émergents (par exemple aux municipales ou dans l’Appel 2022 vraiment en commun). Il y a en effet une impérieuse nécessité que l’action politique ne soit plus seulement la propriété exclusive des partis, mais devienne l’affaire de toutes et tous. La société attend ce tournant démocratique, aussi bien pour bouleverser les institutions vermoulues de la 5è République, que pour construire du commun partagé.
La NUPES est donc prometteuse pour assurer l’élection de plus grand nombre possible d’élus de gauche et écologistes, voire offrir la possibilité d’une majorité de gauche et écologiste en juin 2022. Mais, construite très vite, elle recèle inévitablement des fragilités, liées à des situations locales contrastées, notamment l’implication des quartiers populaires très mobilisés pour Mélenchon contre la menace Le Pen. Fragilité aussi dans la précision du projet qui n’est pas encore un programme de gouvernement. C’est pourquoi il faudra partout ne pas se limiter à de simples « cartels » de partis politiques, et élargir la NUPES à toutes les forces qui le souhaitent (forces politiques, associatives, syndicalistes…), en vue de lui donner un enracinement local sous la forme d’Assemblées populaires ouvertes. Il y a un projet politique national, mais il peut se décliner dans des exigences territoriales débattues, avec un contrat de législature.
Disons-le franchement. La gauche revient de loin et tous les problèmes ne peuvent être réglés en quelques jours. Comme le dit l’historien Jean-Numa Ducange : « Il ne faut pas que le seul enjeu soit d’attendre la prochaine échéance électorale. Il faut qu’un projet collectif porte de larges fractions de la population…[pour]redonner du sens aux combats actuels et à venir » (Table ronde dans l’Humanité du 13 mai 2022). Roger Martelli ajoute : « La gauche a repris des couleurs, … mais elle a un immense travail intellectuel, organisationnel, pratique, devant elle… Elle doit retisser ce qui a été détissé. Proposer et bâtir une nouvelle ère, ce qui implique de se raccorder à un mouvement social et populaire beaucoup plus composite qu’autrefois ». Beaucoup de travail donc.
Jean-Claude Mamet (membre d’ENSEMBLE ! Mouvement pour une alternative de gauche écologique et solidaire).
PS) Cet article est à paraitre dans le mensuel Démocratie & Socialisme