Deux nouveaux rassemblements contre la loi dite de “sécurité globale” se tiendront vendredi prochain 27 novembre à Nantes, 17h devant la Préfecture, et Saint-Nazaire, 17h Place de l’Amérique Latine à l’appel de l’intersyndicale départementale CGT CFDT, FO, FSU, Solidaires, SAF et des associations Ligue des Droits de l’Homme et libre Pensée. Ensemble! 44 soutient cet appel et invite à s’y joindre nombreux.
Au lendemain des manifestations contre le projet de loi du gouvernement “Sécurité globale”, un petit millier de manifestant.e.s à Nantes, près de 300 à Saint-Nazaire, et alors que le débat se poursuit à l’Assemblée Nationale, nous vous invitons à lire
- l’éditorial du Fil des communs, rédigé par Pierre Cohen-Seat, avocat honoraire,
- la lettre ouverte aux Parlementaires de Loire Atlantique cosignée par la Ligue des droits de l’Homme et le Syndicat des Avocats de France
- Le texte de la motion adressée au Premier Ministre déposée à la Préfecture de Nantes à l’occasion du rassemblement d’hier.
De l’Etat de droit à l’Etat de police
Le Parlement examine cette semaine, en accéléré, une proposition de loi « Sécurité globale » qui suscite un tollé général de la part des organisations de défense des libertés, de syndicats, ONG, juristes, journalistes, et même de la Défenseure des droits ou du CNCDH (Comité National Consultatif des Droits de l’Homme). Tous expriment leurs craintes de voir cette nouvelle loi sécuritaire donner à la police une forme d’impunité en menaçant d’un an de prison et de 45 000 € d’amendes le fait de diffuser « l’image du visage ou tout autre élément d’identification » d’un policier ou d’un gendarme en intervention, dans le but de porter atteinte à son « intégrité physique ou psychique ».
Compte tenu du caractère vague et purement spéculatif de l’intention qui doit accompagner l’infraction, cette loi ferait planer un risque exorbitant sur les journalistes, militant.es, manifestant.es, voire les simples citoyens qui voudraient révéler des comportement délictuels de certains policiers. Tout le monde a pourtant en mémoire des affaires récentes qui n’ont pu faire l’objet de poursuites que grâce à la diffusion de telles images : l’interpellation d’Abdoulaye Fofana (qui a inspiré le film « Les Misérables »), le coup de poing à un lycéen parisien à l’occasion d’un blocus contre la « loi travail », le passage à tabac de manifestants dans un Burger King, le « gilet jaune » Jérôme Rodrigues grièvement blessé à l’œil, le livreur Cédric Chouviat mort en disant « j’étouffe », etc.
II ne faut pas sous-estimer les dangers de la dérive électoraliste qui conduit les gouvernements successifs, après chaque attentat, à répondre à l’émotion populaire par l’aggravation du système répressif. Les spécialistes savent que notre arsenal législatif est tout à fait suffisant et qu’elle ne sert donc à rien pour combattre l’insécurité. Alors que ce qui manque en réalité, ce sont des moyens supplémentaires qui, eux, ne sont pourtant jamais à l’ordre du jour. Mais le plus grave est que, si cette proposition de loi était votée, on franchirait une nouvelle étape dans le passage de l’Etat de droit à un véritable Etat de police.
D’une loi sécuritaire à l’autre, se construit en effet peu à peu sous nos yeux une République autoritaire qui n’aura un jour pas grand-chose à envier aux régimes « illibéraux » que nous dénonçons ailleurs. Il y a même fort à parier que, dans un pays comme le nôtre où le fossé est déjà très profond entre les citoyen.nes et les institutions, où la parole publique est contestée et la sphère politique vilipendée, on ne trouvera alors que trop peu de forces pour défendre la démocratie. Seule les droites extrêmes peuvent s’en frotter les mains et redoubler de surenchère. En se disant que, après avoir gagné la bataille idéologique, elle finiront bien par conquérir le pouvoir.
Patrice Cohen-Séat
Lettre ouverte aux Parlementaires de Loire-Atlantique
Madame la députée, Monsieur le député, Madame la sénatrice, Monsieur le sénateur,
Vous serez amené-e le 17 novembre à vous prononcer sur la proposition de loi « Sécuritéglobale ». Nous voulons vous interpeller sur les points suivants ;
1) une procédure d’urgence
Ce projet de loi qui modifie considérablement l’équilibre républicain des droits et libertés est passé en procédure d’urgence et par la voie d’une proposition parlementaire, évitant ainsi de passer par une étude d’impact juridique. Cette procédure restreint de facto l’examen approfondi du contenu du texte et l’information éclairée de la société et ainsi de la représentation nationale : il y a là un déni démocratique auquel vous ne pouvez vous associer,
2) une conception conflictuelle du maintien de l’ordre
Ce projet de loi renforce la conception conflictuelle du maintien de l’ordre, déjà contenue dans le Schéma National du Maintien de l’Ordre. Élargissant le recours aux moyens technologiques de l’imagerie, il permet : * l’exploitation en direct au cours des manifestations par la police des images de ses caméras piéton : c’est rendre possible de relier ces images à ses nombreux fichiers – notamment le Traitement d’antécédents judiciaires (TAJ) dont elle contrôle le contenu – et, par là, de renforcer les tactiques d’intervention à chaud qui créent tant de violence, * le développement de la surveillance des manifestations par drone ce qui accroîtra également le pouvoir d’un commandement hors du terrain, déshumanisant la relation à la foule et générant ainsi des prises de décision toujours plus éloignées des fonctionnaires sur le terrain et des citoyens.
3) une loi contre-productive pour le respect de la police
Comme le souligne la défenseure des droits, une police respectée est une police contrôlée. Or, l’article 24 de la proposition de loi prévoit de sanctionner très lourdement le fait de diffuser des vidéos dans lesquelles des policiers ou gendarmes seraient identifiables dans le but de leur
porter atteinte « à l’intégrité physique ou psychique ». Au-delà de l’inquiétude majeure résidant dans la rédaction particulièrement floue de ce texte (notamment s’agissant de la notion d’intégrité psychique), cette disposition fait quasiment disparaître la possibilité de faire des
vidéos en direct, par peur de la sanction et constitue donc un risque majeur pour la liberté d’informer.
Elle comporte par ailleurs un risque, plus global, d’auto-censure des journalistes et observateurs. C’est donc encore la liberté d’expression qui est ainsi attaqués. Une telle disposition ne peut que renforcer une forme de culture de l’impunité contreproductive puisqu’elle contribuerait à dégrader, un peu plus, le lien de confiance nécessaire entre les forces de l’ordre et la population. À ce titre, l’exemplarité de la police légitimement attendue tant par les citoyens contribuables que par les responsables politiques ne peut encore qu’en souffrir.
4) Ce projet de loi, porte gravement atteinte à l’équilibre républicain des force de police et de sécurité
Au nom de la théorie du « continuum de sécurité », ce projet de loi étend certaines compétences de la police nationale aux polices municipales ce qui autorisera notamment des surenchères locales de la part de maires. De plus, il organise une privatisation de la police en contradiction flagrante avec les normes constitutionnelles en déléguant aux agents privés de sécurité des pouvoirs réservés à la police judiciaire. Ainsi l’État se déresponsabilise d’une manière dangereuse en remettant aux organes locaux et à des organismes privés le soin de gérer et de financer une mission régalienne essentielle. Une telle démarche porterait ainsi une grave atteinte à l’unité républicaine sur le territoire national. Ce n’est pas créer un « continuum » mais l’organisation de la confusion !
Non, Madame la députée, Monsieur le député, Madame la sénatrice, Monsieur le sénateur vous ne pouvez pas associer votre nom à une telle évolution.
Dans l’attente d’une réponse de votre part, veuillez agréer, Madame, Monsieur, l’expression de notre respectueuse considération.
Ligue des Droits de l’Homme, section de Nantes, Syndicat des Avocats de France
Motion déposée à la Préfecture lors du rassemblement du 17 novembre à Nantes
Monsieur le Premier ministre,
Le Parlement entame, le mardi 17 novembre, l’examen d’une proposition de loi présentée par des députés de la majorité gouvernementale « relative à la sécurité globale » qui porte lourdement atteinte à des libertés et droits fondamentaux. Elle est l’objet d’une procédure accélérée qui évince, de fait, le rôle législatif des parlementaires.
Ce texte :
– prévoit, en son article 24, la pénalisation de la diffusion d’images de policiers ou de gendarmes agissant dans le cadre de leurs missions d’ordre public, portant atteinte à la nécessaire transparence de ces opérations. Une telle mesure, si elle était adoptée, avec des sanctions très lourdes (1 an d’emprisonnement et 45 000 € d’amende) empêcherait tout contrôle citoyen, voire le travail des journalistes, en favorisant l’impunité d’auteurs de violences policières ;
– projette d’instaurer une surveillance généralisée de l’espace public, en autorisant l’État à utiliser des drones avec caméras, visant explicitement le contrôle de tous les manifestants ;
– autorise, par son article 21, l’utilisation immédiate des « caméras mobiles » portées par les policiers permettant une analyse automatisée pour reconnaître en temps réel l’identité de tous les manifestants (reconnaissance faciale) avec le risque d’arbitraire par des gardes à vue préventives ou l’empêchement de se joindre au cortège au mépris de la liberté de manifestation ;
– prévoit également d’étendre aux polices municipales, sous le seul contrôle des maires, des compétences de la police nationale sur des missions de police judiciaire. Ils pourront aussi procéder à des contrôles d’identité et à des saisies au risque d’amplifier les abus et détournements déjà dénoncés ;
– organise une privatisation de la police en déléguant aux agents privés de sécurité des pouvoirs réservés à la police judiciaire comme la verbalisation d’infractions et le relevé d’identité pouvant conduire à la rétention de la personne contrôlée ;
Les organisations signataires demandent le rejet de cette proposition de loi liberticide et de fuite en avant sécuritaire, qui menace gravement les principes fondamentaux de notre démocratie et l’État de droit.
Signataires :
Action des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture, Amnesty International, Association « les Filles », ATTAC, La Libre Pensée, Ligue de l’enseignement-Fédération des Amicales Laïques, Ligue des droits de l’Homme, Maison des Citoyens du Monde, Mouvement contre le Racisme et pour l’Amitié entre les Peuples, Mouvement National de Lutte pour l’Environnement, Observatoire Nantais des Libertés, Syndicat des Avocats de France, Tissé Métisse
Syndicat National des Journalistes
Confédération Générale du Travail, Fédération Syndicale Unitaire, Union syndicale Solidaires
(l’Association Traits-Portraits et Force Ouvrière se sont associés à cette motion sans pouvoir y être mentionnés pour des raisons techniques).