Le 11 juillet dernier, des milliers de personnes ont manifesté dans plusieurs villes de Cuba, pour la première fois depuis 30 ans.
Ni à la solde des impérialistes comme les a désignés le gouvernement cubain présidé par Miguel Diaz-Canel, ni héros de la démocratie comme le dit le gouvernement des Etats-Unis, c’est avant tout la crise économique, politique et sanitaire qui a mené ces manifestants à braver l’interdiction de manifester.
La petite organisation « Comunistas » -organisation non reconnue légalement-, regroupe des cubains pour qui il n’y a pas d’issue possible à la crise que vit Cuba dans le système capitaliste, de surcroît à 150 km de la Floride. Elle postule la nécessité de mener un débat démocratique pour la défense d’un système alternatif, le communisme, sans pour autant adhérer à la politique du Parti Communiste Cubain et toutes les politiques menées par l’État Cubain.
Comme toute dissidence de gauche, à Cuba, elle a le mérite de permettre un débat avec tout un secteur intellectuel, culturel et politique qui n’a pas renoncé à défendre une perspective non capitaliste pour Cuba.
Sébastien Ville
“Aujourd’hui 26 juillet, 68 années se sont écoulées depuis l’attaque de la caserne de la Moncada et 15 jours depuis les protestations qui ont secoué Cuba le 11 juillet dernier.-
Ces deux événements sont loin de constituer des faits historiques comparables, ce qui n’empêche pas la contre-révolution d’essayer de les manipuler. À en croire la droite, la véritable date de la rébellion nationale serait celle des protestations du 11 juillet et non pas celle de l’attaque de la caserne de la Moncada.
Quoi qu’il en soit, au-delà des distorsions et des points de vue idéologiques, il est incontestable que ce 11 juillet restera une date historique. Il est préoccupant que le gouvernement cubain cherche à minimiser et à criminaliser les protestations qui ont marqué cette journée. Cela lui servira peut-être, de façon précaire, pour sa propagande politique, mais si nos dirigeants croient que les protestations ont été le fait exclusif de la contre-révolution, c’est qu’alors ils n’ont pas compris ce qui s’est passé ce 11 juillet. Si elle se confirmait, cette surdité mettrait en danger la société cubaine. Ne pas voir que ce 11 juillet les manifestants appartenaient aux couches les plus frappées par la crise économique, c’est se condamner à être confronté à des protestations similaires d’ici quelques mois.
C’est vrai que la contre-révolution a joué un rôle évident en matière de propagande ; c’est vrai que les États-Unis souhaitent la chute du Parti communiste à Cuba ; c’est vrai que le blocus a un impact néfaste ; mais la mobilisation spontanée de la masse des manifestants le 11 juillet a des causes beaucoup plus directement liées au quotidien des travailleurs, aux pénuries, à la mauvaise gestion et à l’abandon des quartiers socialement vulnérables. Le gouvernement aura beaucoup de mal à remédier aux terribles pénuries dont souffre Cuba. La crise, en outre, n’est pas seulement économique mais aussi politique et, lorsque la faim se fait sentir, cela rend la situation très dangereuse.
La crise de confiance est si grande entre le peuple et la direction du Parti que la majorité silencieuse ne lit pas la presse officielle, et que la presse officielle n’informe que sur ceux qui ont manifesté pour soutenir le gouvernement et ont été victimes de violences.
La presse officielle aussi bien que la presse privée ont manipulé et déformé les événements du 11 juillet au point qu’elles les ont rendus méconnaissables. Ainsi, pour les uns, il ne s’agissait que d’actes de vandalisme répréhensibles et, pour les autres, d’un soulèvement national contre la « dictature ». Ces deux visions simplistes passent à côté de la complexité d’un mouvement issu de la masse de ceux qui sont confrontés à la faim. Le 11 juillet a la légitimité politique d’une protestation sociale et il a également été marqué par des actes de vandalisme condamnables.
Cuba n’est pas une dictature mais les droits de nombreux citoyens qui ont manifesté ont bien été bafoués. C’est vrai qu’a été manipulé le mot terrible de « disparus », mais des centaines de détenus ont bien été dans l’impossibilité pendant des jours de communiquer avec leurs familles qui ne savaient pas où ils se trouvaient. C’est vrai que Cuba est un État socialiste de droit, mais dans de nombreux jugements sommaires les procédures définies par la loi ont été violées et des peines de presque un an ont été prononcées pour le seul fait d’avoir manifesté. Tout cela peut servir, c’est vrai à susciter la peur et à éviter de nouvelles protestations, mais si un nouveau 11 juillet se produit, les manifestants descendront dans la rue avec la rage qu’ont suscitée ces violations. La coercition permet de bloquer les protestations mais elle approfondit la coupure entre le gouvernement et le peuple cubain.
Répéter que les milliers de manifestants du 11 juillet étaient des contre-révolutionnaires, c’est offrir à la contre-révolution une victoire qu’elle n’a pas remportée. Réaffirmer que les manifestations du 11 juillet ont été préparées par la contre-révolution, c’est reconnaître à la droite une capacité d’organisation et de mobilisation qu’elle n’a pas. Une analyse marxiste, critique, permet seule de comprendre ce qui s’est passé le 11 juillet. Le discours a-critique ne conduit qu’à éloigner le gouvernement de la société et renforce la propagande politique contre-révolutionnaire.
Il est urgent que le gouvernement cubain analyse ses erreurs et s’en explique publiquement. Le peuple en a assez d’entendre que l’impérialisme américain est coupable de tout ce qui se passe. Il attend que le gouvernement fasse une profonde auto-critique et reconnaisse que les événements du 11 juillet sont pour une bonne part dus à ses erreurs – ce qui lui conférerait une forte légitimité politique – mais l’orgueil aveugle de la bureaucratie s’y oppose. Les majorités silencieuses font de plus en plus la différence entre Fidel Castro et le gouvernement actuel. Beaucoup considèrent que le Commandant en chef aurait résolu la crise économique avec le peuple, contrairement aux dirigeants actuels, qu’ils voient distants et ignorants de leur situation réelle. C’est une autre dimension préoccupante de la perte de légitimité politique du gouvernement.
Aux interpellations intervenues le 11 juillet et aux jugements sommaires qui ont suivi, commencent à s’ajouter d’autres mesures administratives de représailles, avec des licenciements et des sanctions politiques frappant des personnes qui n’ont fait que participer aux protestations, où même n’en sont que suspectés. Ces mesures ont permis de procéder à une purge parmi les intellectuels réticents au discours officiels, quand bien même ils seraient marxistes. Les critiques étaient admises dans le cadre du système établi, elle ne le sont plus que quand elles sont autorisées et sur les sujets autorisés. Pour conjurer le spectre du 11 juillet, les opportunistes laisseront libre cours aux purges et à l’anthropophagie politique. Si quelque chose doit en pâtir, c’est l’idéal socialiste qu’une partie des travailleurs identifiera davantage encore à la censure et à la répression. Nous devons toujours garder à l’esprit que le stalinisme et ses différentes versions ne sont que des déformations contre-révolutionnaires de l’idéal communiste.
Beaucoup des violences subies le 11 juillet auraient pu être évitées si le gouvernement cubain avait légalisé le droit de manifester pacifiquement. L’appel du président cubain Miguel Díaz Canel a permis de mobiliser des centaines de militants communistes, mais il a également été massivement rejeté. Il faut dire que beaucoup de ceux qui sont descendus dans la rue pour défendre le gouvernement ont compris cet appel comme, au sens propre, un « ordre de combat ».Des dizaines d’entre eux étaient équipés de matraques, préparées à l’évidence depuis quelque temps pour parer à des situations similaires. Elles étaient toutes de même couleur, de même taille et de même forme.
Pour réprimer les violences, il existe la police et d’autres organes habilités. Pour réprimer on ne fabrique pas des matraques dont on équipe des civils qui se savent protégés par la loi alors qu’ils se livrent à des violences hors de toute légalité. Tout le poids de la loi doit s’abattre sur ceux qui se livrent à des actes de vandalisme ou, pire encore, projettent des assassinats. Mais pas sur ceux qui exercent le droit de protester, un droit qui est légitime même s’il n’est pas codifié dans la loi cubaine.
À bas la contre-révolution !
Vive la classe ouvrière !
Vive la Liberté !
Vive le 26 juillet !
La patrie ou la mort !
Vers le communisme !”
La version française de ce texte est reprise du site fourth international