Beaucoup de responsables politiques, associatifs, syndicaux, se sont demandés ce qu’était le « machin » baptisé Conseil national de la refondation (CNR), qui a tenu jeudi 8 septembre sa première réunion sous la houlette présidentielle. Les oppositions ont boycotté, et presque tous les syndicats. Il faut dire que E.Macron n’a pas son pareil pour transformer un vrai besoin de renouveau en en machine d’embrigadement.
Au moment où il appelle au « dialogue » avec la société civile avec un « conseil » fourre-tout, il prétend gouverner la transition écologique avec un « conseil de défense » opaque, pour imposer la « sobriété » et la fin de « l’abondance ». Au moment où la garde élyséenne explique que les absents « ont toujours tort », le président se prépare à faire voter une Xème loi scélérate réformant l’assurance-chômage sans laisser la moindre place aux syndicats. Il n’y aura même pas de « lettre de cadrage » dictée aux « partenaires sociaux » ! C’est l’étatisation autoritaire. Et « on » voudrait simultanément faire semblant de faire réfléchir la société sur son avenir, y compris avec des hypothèses de référendums, sans doute une astuce pour contourner un Parlement où le président n’a pas de majorité.
Par ailleurs, personne n’a oublié le « Grand débat » lancé par Macron en 2019 pour tenter d’endormir le mouvement des Gilets jaunes, et dont 1,9 millions de contributions citoyennes dorment à ka bibliothèque nationale, sans avoir été étudiées. On sait aussi ce qu’il advint de la « convention citoyenne pour le climat », issue du « grand débat », remisée aux oubliettes après la promesse démagogique de transmission « sans filtre » à l’Assemblée nationale. On pourrait ajouter à la liste la destruction du peu de démocratie sociale dans les entreprises, celle des Comités d’hygiène et sécurité-conditions de travail (CHSCT), et la baisse catastrophique des droits syndicaux.
Jouant cyniquement avec le besoin de démocratie, Macron continue par ses méthodes d’en saboter l’aspiration. Ne pas cautionner son projet de faux CNR est donc pleinement justifié. Mais cela ne suffit pas. Il conviendrait de réfléchir à lui opposer une alternative. Parce que le besoin existe. Mais en aucun cas il ne peut être l’émanation du pouvoir exécutif. La situation serait déjà différente si des députés prenaient l’initiative. Mais avec un préalable absolu : pas de régression des droits des chômeurs, pas de destruction de la Sécurité sociale, pas de recul supplémentaire sur les retraites…
« Un moment de bascule »
L’historien Fabrice Grenard, interviewé dans Le Monde du 9 septembre 2022, explique évidemment que la période du Conseil national de la résistance de 1944, imitée par Macron, n’a rien à voir avec celle que nous vivons. Mais il ajoute que nous sommes aussi dans « un moment de bascule », une crise civilisationnelle, dont l’ampleur est européenne et internationale.
Au moment où la guerre sévit en Europe, qu’il y a même une menace nucléaire, civile et militaire, comment faire face en même temps au défi écologique dont l’urgence ne cesse de nous alerter ? Alors que les circuits économiques s’emballent en inflation générale et en appauvrissement, et qu’il faudrait se débarrasser au plus vite des technologies énergétiques traditionnelles, comment les populations vont-elles réagir si des mesures autoritaires de rationnement sont prises ? Alors que la sécheresse menace l’avenir de l’agriculture et de l’élevage, et qu’il faudrait bouleverser nos habitudes alimentaires, quelle relation sommes-nous capables d’entretenir entre le monde des villes et le monde paysan dont une grande partie va se trouver en grande difficulté pour vivre de son travail ? Alors que les multinationales de l’automobile se reconvertissent à grande vitesse au tout électrique comme technique miracle, sans rien changer à la « bagnole » comme mode de transport, comment les dizaines de milliers de salarié-es vont vivre cette mutation industrielle sans sécurité sociale professionnelle ?
Ce ne sont là que quelques-uns des bouleversements qui sont devant nous. Pas dans 30 ans mais maintenant.
Une bifurcation démocratique nécessaire
En dépit des manœuvres de Macron, il y a la perception que les institutions à la base des politiques publiques ne fonctionnent pas. Il ne peut guère y avoir une acceptabilité citoyenne et sociale pour changer notre vie collective si la confiance est distendue totalement avec les élu-es, les partis politiques, les mécanismes habituels de décisions. L’analyse de la fracture politique multifactorielle a été suffisamment faite après la séquence électorale du printemps 2022. Un bon quart de l’électorat ne participe plus au jeu démocratique traditionnel (abstentions), un autre quart se replie sur des réflexes identitaires ou le ressentiment sans espoir (RN). Avec la NUPES, une force de gauche et écologiste relève la tête mais n’est pas encore consolidée (et les rivalités de leadership demeurent menaçantes). Dans ces conditions, faire appel à des référendums bâclés (comme Macron le laisse entendre) peut vite devenir un gadget populiste dangereux s’il n’y a pas de délibération soigneusement organisée.
C’est pourquoi l’audace démocratique est bien une des clefs de la situation. La crise du COVID n’a pas été surmontée par des procédures démocratiques, ni par la confiance mise dans l’intelligence collective. Il en a résulté des accidents sociaux, politiques et psychologiques, comme les manifestations de l’été 2021 l’ont montré. Il ne suffit pas de dénoncer des attitudes irrationnelles ou réactionnaires (antivax), il faut comprendre les mécanismes de gouvernementalité qui les accélèrent. Or, il est probable que des menaces plus graves de délitement social et politique soient à craindre dans les mois à venir. Macron s’y prépare à sa manière.
La NUPES et les forces progressistes peuvent prendre l’initiative
Face au gadget Macron, certains mettent en avant la représentation nationale, le rôle des député-es. Mais c’est un peu court. Ils et elles ont un rôle à jouer, mais d’abord un rôle d’alerte et de mobilisation. Comme l’a dit Jean-Luc Mélenchon aux Amfis d’été de LFI, partout les élu-es ou candidat-es NUPES pourraient impulser des « Assemblées citoyennes et populaires », avec l’aide active des forces politiques locales, des citoyen-nes, des syndicalistes et associatifs intéressés.
Ces Assemblées peuvent d’abord être à l’initiative de mobilisations pour relayer des propositions parlementaires. Mais elles pourraient aussi se lier aux élu-es locaux, aux institutions territoriales et commencer dès maintenant à préparer des plans de bifurcation écologiques, des innovations d’économie sociale et solidaires, des circuits courts de productions maraichères, des alternatives énergétiques. Nombre de communes sont déjà prêtes à agir (pas forcément toutes de gauche). D’innombrables groupements citoyens s’auto-organisent déjà, mais sont peu connus. Le magazine Reporterre en dénombre des centaines sur les grands projets inutiles. Il existe même des associations se mettant en place pour donner des « droits à la nature », même si cela fait débat (par exemple Le Parlement de la Loire, pour protéger le fleuve).
Evidemment, il conviendrait de faire dialoguer ensemble des mouvement écologiques et citoyens avec les syndicats, afin de co-construire l’action et d’imaginer des revendications synthétisant le social et l’écologique. Le respect des rythmes, des calendriers et prérogatives de tous les mouvements est essentiel : personne ne doit avoir le sentiment d’avoir à se rallier à qui que ce soit.
Comme le disent tous les syndicats qui boycottent le CNR de Macron, il est également possible de faire vivre ou d’étendre les prérogatives du Conseil économique, social et environnemental (CESE), y compris à l’échelle des régions. Pourquoi le CESE ne pourrait-il pas jouer un rôle d’élaboration sur des mesures de transition, de nouvelles lois ?
Au-delà, il est possible d’imaginer une coordination des assemblées. Certains Gilets jaunes avaient lancé et mis en oeuvre une « assemblée des assemblées ». C’est bien ce genre d’institutions qui est nécessaire au temps présent.
Jean-Claude Mamet