Retailleau ou le grand bond en arrière

Il ne faut jamais sous-estimer ses adversaires. Ce n’est pas parce que Bruno Retailleau fleure bon la France d’hier qu’il n’est pas dangereux. Il a réussi il y a quelques années un putsch pour écarter son mentor Philippe De Villiers à la tête du département de Vendée, celui-ci s’étant opposé à sa nomination de ministre de Sarkozy. Quelques années plus tard, il s’empare de la présidence du Conseil régional des Pays de la Loire. Devenu président des sénateurs LR, il ne cache plus son ambition d’être candidat à la présidentielle de 2022.

A partir de son premier discours en tant que président du Conseil régional des Pays de la Loire (1), j’avais mis en exergue ce qui me semblait être différents traits forts de l’idéologie qui l’anime. Depuis, le toujours souriant sénateur de Vendée a certes policé son ton, mais sur le fond son discours reste le même. Je reste persuadé que son discours s’enracine dans une histoire fantasmée (et largement réécrite au 19ème siècle) des guerres de Vendée, lui dont « Pierre Grelot, son lointain ancêtre de la guerre de Vendée, (a été) massacré dans un chemin creux du bocage, pour avoir défendu la croix de Jésus » (2).

Le parti de l’ordre : une tentative d’unification des droites

Du conservatisme (sous couvert de « bons sens ») à l’autoritarisme, Bruno Retailleau a franchi le pas. Sa lettre aux Français (3) est en ce sens très éclairante. Il le dit et le répète : « je crois à l’ordre» au point de retrouver 27 fois le mot « ordre » dans cette adresse aux Français. Retailleau nous décrit une France «aux rues ensauvagées, aux quartiers islamisés » (rassurez-nous Bruno Retailleau, pas en Vendée, pas à  Saint-Malo du Bois votre commune d’où vous nous dites avoir écrit cette lettre ?). Son projet est donc de « remettre la France en ordre ». Chacun l’a compris, le patron des sénateurs LR reprend le langage classique de l’extrême-droite. Pour lui, le désordre est dû « au laisser-aller judiciaire qui nous a désarmés et au laisser-aller migratoire qui nous a submergés ». Avec lui, l’union des droites (c’est-à-dire l’union de la droite et de l’extrême droite), chère à des élus régionaux de la droite extrême comme Sébastien Pilard ou de l’extrême-droite comme Pascal Ganat, devient possible. L’Europe vue par Bruno Retailleau doit aussi « protéger des migrations », bien sûr.

Bruno Retailleau conclut sa lettre avec des accents gaulliens, exercice que se croient obligés de faire tous les candidats de droite dans la 5ème République. « Notre histoire est grande et nos gloires sont belles…(..)…la France peut revenir au premier rang des grandes puissances ». Visiblement, il oublie que la France est la 6ème puissance économique mondiale. Il souhaite une France « à l’avant-garde des nations entreprenantes et conquérantes » et indique que c’est à « nous (à lui ?) qu’il revient désormais de conquérir les prochaines gloires françaises ». Je ne sais pas de quelle conquête il parle, mais j’espère que nous n’emprunterons jamais le chemin qu’il indique tout au long de cette longue lettre : celui du retour à la France du 19ème siècle.

Une orientation profondément anti-sociale

Bruno Retailleau parle aussi du « désordre moral né de nos désordres financiers ». Serait-ce une critique du capitalisme financiarisé ? Le sénateur vendéen plaiderait-il pour une taxation des transactions financières ? On ne retrouve rien de tel dans ses analyses. Les désordres financiers proviennent d’un « Etat suradministré, surendetté » qui prélève « chaque année plus de la moitié de la richesse créée…(…)…pour nourrir une machine bureaucratique ». S’il n’est pas un libéral sur les questions sociétales, il l’est du point de vue économique…et rejoint en cela Emmanuel Macron qui a affirmé en 2019 lutter contre l’inertie de « l’Etat profond ». Tous les discours de droite se rejoignent pour affaiblir l’Etat, les luttes syndicales des salarié.e.s et de la gauche politique ayant permis l’existence d’un Etat  social qui aux yeux du patronat et de ses amis coûte toujours trop cher.

Sa proximité idéologique avec Macron (même s’il s’en défend) se retrouve aussi quand il appelle « à libérer l’activité », termes identiques à ceux de Macron ministre de Hollande et de Valls  en 2015 à propos de la loi « pour la croissance, l’activité et l’égalité économique ». Son remède ? Très classique pour la droite : « assez d’impositions, de cotisations, de contributions ». Bruno Retailleau oublie de dire que les impôts pour les plus riches et sur les entreprises ne cessent de baisser et appauvrissent toujours un peu plus l’Etat. Les exonérations des cotisations sociales sont aussi légion, affaiblissant toujours un peu plus la Sécurité sociale. Mais de cela Bruno Retailleau n’en parle pas, car il s’agit pour lui de permettre au capitalisme de se libérer des entraves d’un Etat bureaucratique. Son discours ne repose sur aucun discours économique explicite. Et pour cause ! Le rythme de croissance de la productivité est en baisse depuis les années 70, le capitalisme pour préserver les profits n’a qu’une issue : la baisse de la part des salaires dans la valeur ajoutée. Les inégalités sociales s’accroissent et cela n’a rien à voir avec ce que prétend Bruno Retailleau pour qui « l’égalitarisme a tué l’égalité ». La montée de la précarité, il n’en parle pas ! Ni de l’explosion des CDD Ni du développement du travail indépendant dans notre pays alors que la tendance reste à la montée du travail salarié…sauf en France, au Royaume-Uni et aux Pays-Bas (4), trois pays qui pour des raisons idéologiques ont cherché à affaiblir de façon acharnée les protections que le salariat a conquis. Résultat,  aujourd’hui la plupart des auto-entrepreneurs sont dans la grande précarité en gagnant le plus souvent beaucoup moins que le SMIC. De plus Bruno Retailleau ne parle à aucun moment du recul des services publics dans les quartiers comme dans les territoires ruraux. N’est-ce pas une des raisons du sentiment d’abandon ressenti par nombre de nos concitoyen.es.s ? Il est vrai que la droite à laquelle appartient Bruno Retailleau est largement responsable des attaques contre nos services publics.

Des absences et des sous-estimations significatives : laïcité, féminisme, écologie…

Si le mot service public est totalement absent du pré-programme présidentiel de Bruno Retailleau, le mot laïcité s’y trouve…une seule fois. Soyez rassurés, celui qui défend l’installation chaque année d’une crèche au Conseil départemental de Vendée, ne se revendique pas de la laïcité. Il note seulement qu’il parle laïcité avec Zineb El Rhazoui (5). Il débat aussi, nous dit-il, avec Jean-Pierre Chevènement, pour sans doute montrer son absence de sectarisme. Mais a-t-il oublié que Jean-Pierre Chevènement s’est fort éloigné depuis de nombreuses années de la gauche ? Quant à la lutte pour l’égalité femmes-hommes, il n’en dit mot, restant en cela fidèle partisan des valeurs de la Manif pour tous.

Reconnaissons à Bruno Retailleau de ne jamais avoir manifesté de thèse climato-sceptique. Pour autant, son argumentaire écologique dans cette lettre aux Français est un peu court ! « Je veux une écologie des petites patries » écrit-il par opposition à ce qui serait « une écologie des grands boulevards ». Le mot « petite patrie » renvoie certainement à sa vision des territoires compris comme à la terre du père, des ancêtres ! Il défend même un « patriotisme écologique » et ne cache pas son parti-pris pro-nucléaire. Il souhaite faire de la transition énergétique « une grande politique de croissance et de puissance ». Tout comme le social, l’écologie n’est pas au cœur de la pensée du patron des sénateurs LR.

Face au bloc idéologique réactionnaire, répondre à gauche

Si l’esprit réactionnaire veut, selon l’historien des idées Mark Lilla (6), « soit effectuer un retour radical au passé, soit se protéger au-delà du présent pour établir un ordre qui soit une réincarnation du passé, plus vitale plus autoritaire », la pensée de Bruno Retailleau est au sens propre réactionnaire. Elle est présente dans plusieurs familles de la droite (LR et RN notamment). Le pari de Bruno Retailleau est de constituer un bloc idéologique suffisamment fort pour gagner l’hégémonie à droite et dans le pays, au moment où le capitalisme est secoué par de multiples crises. Il y a un siècle, ce sont ces idéologies réactionnaires qui ont conduit aux systèmes totalitaires. Sans un sursaut à gauche, le risque est grand de voir les réponses autoritaires gagner du terrain. Il y a donc urgence pour la gauche à se rassembler autour de réponses progressistes aux crises sociales, écologiques et démocratiques.

Eric Thouzeau

Cet article a été initialement publié sur le blog d’Eric Thouzeau, conseiller régional GDS des Pays de la loire

  1. http://ericthouzeau.eu/lhabit-fait-le-moine/
  2. https://www.lemonde.fr/m-actu/article/2017/02/17/bruno-retailleau-le-croise-de-francois-fillon_5080967_4497186.html
  3. https://force-republicaine.fr/lettre-aux-francais-nous-pouvons-remettre-la-france-en-ordre/
  4. https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/11/06/les-entrepreneurs-precaires-sont-les-premieres-victimes-des-restrictions-sanitaires_6058792_3232.html
  5. https://fr.wikipedia.org/wiki/Zineb_El_Rhazoui#Apr%C3%A8s_Charlie_Hebdo
  6. Philosophie magazine octobre 2019