Avec le retour du confinement, notre société ne semblait pas, de prime abord, retrouver l’atmosphère de suspension du printemps dernier. L’arrêt beaucoup plus partiel de l’activité économique et l’ouverture des écoles participent de cette sensation d’entre-deux incertain. Ce qui ne change pas, c’est l’incohérence et l’impréparation des décisions du gouvernement. C’est aussi le caractère artificiel des cycles médiatiques. L’actualité semble être vidée de toute substance quand la couverture du Covid-19 devient une boucle médico-politique sans fin et sans grand débats démocratiques, reposant de moins en moins sur des informations, faute de “nouveauté”.
Dans ce climat anxiogène et morose, les glissements de terrain de notre démocratie ne font pas la Une mais sont pourtant sérieux et nombreux. Au lycée Colbert, ce sont les CRS qui contrôlent les carnets de correspondance des élèves et autorisent leur entrée. Cette triste image, caricaturale hier, semble presque anodine désormais. Les coups de matraque et de lacrymos qu’ont connu les lycéen.ne.s, la semaine d’avant, quand ils se mobilisaient pour demander un nouveau protocole sanitaire plus adapté à des classes de 35 n’ont pas davantage émus au-delà de cercles engagés. La grève dans l’éducation nationale de ce mardi ne semble pas non plus faire parler d’elle. Depuis que le conseil de défense prend les décisions, au mépris des règles constitutionnelles qui lui confèrent un rôle militaire, l’Assemblée nationale devient une chambre d’enregistrement des décisions gouvernementale. L’État de droit, les libertés individuelles et collectives, la vitalité démocratique vont-ils bientôt devenir de vieux souvenirs ? Le glissement autoritaire de notre régime politique, s’il n’est pas au cœur du débat public, est un fait des plus inquiétants.
Nous en sommes là. Des enfants de 10 ans sont interpellés pour “apologie de terrorisme” après avoir répété bêtement des propos qu’ils disent avoir entendus dans les médias. Trois ans de prison sont désormais envisagés pour ceux qui occuperont une université. Prison également pour celles et ceux qui filmeront des policiers. Et toujours ce sentiment que nous échappe, dans le silence, le gouvernail de nos destinées collectives. Chez les petits commerçants lâchés par un gouvernement incapable de permettre aux maigres aides d’arriver assez vite, l’incompréhension et la rancoeur règnent. Pour Amazon et les grandes surfaces c’est business as usual. Face aux rois de la Start-up, le dialogue est inexistant comme si le sursis imposé de nos vies sociales devait être aussi celui de nos possibilités d’agir, de s’opposer, de proposer. Quant au défi climatique, il semble avoir repris sa place au sein des préoccupations lointaines dans ce faux semblant de réalité qui nous échappe.
À gauche, et chez tous celles et ceux qui vivent cette hallucination du quotidien, le vide veut s’imposer en lieu et place de nos combats, nos espoirs, de nos vécus. Ce songe éveillé n’a pas d’avenir, le réveil sera brutal. Tenons tête à cette mélancolie contrefaite. Ils sont à bout de souffle mais rien ne nous empêchera de reprendre corps.
Clémentine Autain