Le 21 novembre, le gouvernement a détaillé sa réforme de l’assurance chômage qui s’attaque à la durée d’indemnisation. Les salariés en contrats courts, soumis à des conditions de travail usantes, risquent de subir de réels impacts négatifs, s’alarme un collectif de chercheurs en sciences sociales.
Alors que le gouvernement annonce une nouvelle réduction du droit des chômeurs à un revenu de remplacement, nous, chercheur·euses en sciences sociales, souhaitons alerter l’opinion publique, les professionnels de l’emploi et nos concitoyen·nes sur les implications de ces modifications sur la santé des intérimaires.
La réforme de 2021 avait largement entamé les droits à l’assurance chômage des plus précaires : les droits ouverts par les périodes d’activité se traduisent par une répartition sur une durée plus longue et donc par un niveau moindre de revenu. Les salariés en contrats courts, notamment les intérimaires, ont subi particulièrement les impacts négatifs de cette réforme, les périodes intermissions, elles aussi fragmentées, étant alors couvertes par un revenu de plus en plus réduit.
La nouvelle loi s’attaque à la durée d’indemnisation, les salarié·e·s précaires verront la durée de leur indemnisation réduite si le gouvernement juge la «conjoncture» bonne. Les refus de CDI (même des CDI précaires tels que contrat de chantier ou contrat d’intérim à durée indéterminée) et les supposées absences de longue durée vaudront présomptions de démission, elles empêcheraient ainsi l’accès à l’assurance chômage. Par ces deux dispositifs, le gouvernement et ses alliés mobilisent une fois de plus le mythe d’un·e chômeur·euse responsable de son sort, d’un·e précaire qui choisirait la précarité – mythe que nos observations et travaux de recherche démentent.
Une hypocrisie sociale générale
Notre récente étude collective analysant le lien entre la précarité d’emploi et les conditions de travail éclaire d’un jour particulier ces modifications. De nombreux·ses intérimaires rencontré·e·s décrivent leurs situations de travail comme étant particulièrement pénibles. Considéré·e·s éternellement comme de «nouveaux embauchés» (suivant le mot d’un intérimaire rencontré), ils et elles sont souvent affecté·e·s à des tâches qui relèvent du «sale boulot» et subissent de ce fait une déqualification du travail.
Le mépris et les atteintes à la dignité participent de la construction de ce sous-statut de salarié·e. Face à un travail insoutenable, les périodes intermission, souvent couvertes par l’Unédic, représentent une respiration et leur permettent de tenir dans la durée. La baisse de rémunération annoncée amènerait ces travailleurs à des choix différents au détriment de leur santé.
Prétendre qu’une plus forte obligation d’emploi obligerait à améliorer ces conditions de travail, œuvre légitime par ailleurs, serait ignorer les enseignements de notre étude : ces mauvaises conditions de travail sont le fruit d’une hypocrisie sociale générale, depuis les directions d’entreprises utilisatrices friandes de cette main-d’œuvre précaire, les entreprises de travail temporaires partenaires de contrats commerciaux, les pouvoirs publics fermant les yeux entre autres sur la sur-accidentalité de cette population, jusqu’aux collectifs de travail qui assument une répartition du travail défavorable aux intérimaires.
A l’heure où le gouvernement se targue de vouloir réduire la désinsertion professionnelle, il serait bienvenu que l’attention se porte sur les 850 000 intérimaires (pour ne prendre que celles et ceux qui font plus de 400 heures dans l’année) soumis à des conditions de travail usantes mais qui auront de moins en moins la possibilité d’agir indirectement sur ces mauvaises conditions de travail… en les refusant.
Louis-Marie Barnier, Elena Mascova et Jean-Marie Pillon sont co-auteurs du rapport «Précarité d’emploi et conditions de travail», Post-enquête Dares, juillet 2022.
PS) Cette tribune est parue initialement dans le quotidien Libération du 25 novembre.