Mikhaïl Gorbatchev est décédé le 30 août 2022 à Moscou, à l’âge de 91 ans, suite à une longue maladie comme on dit… En fait cela fait plus de trente ans qu’il était effacé des radars de l’actualité mondiale.
Sa disparition finale suscite hommages en Occident, en particulier en Allemagne, et indifférence sinon mépris en Russie. Pour ses obsèques, le dernier président de l’URSS (1990-1991) s’est vu privé de la présence de l’inamovible président de la Russie (2012- ?).
Pourtant, ici et maintenant, comment oublier que son nom reste associé aux mots perestroïka et glasnost ? Et combien la charge politique et émotionnelle de ces derniers fut puissante, annonçant un dégel dont a espéré qu’il ne conduise pas à une débâcle !
Après, en 1956, le XXème congrès du PCUS et le rapport Khrouchtchev avec ses “révélations” quant aux crimes de Staline, ne fallait-il pas y voir enfin la confirmation que cet immense société née d’Octobre 17 recélait des ressources socialistes que le stalinisme n’aurait pas éradiquées ? Cette “révolution politique” dont Trotsky avait théorisé la promesse, celle d’une URSS échappant à la restauration capitaliste et se réengageant sur la voie d’un socialisme démocratique, par la grâce d’une mobilisation révolutionnaire des masses renversant la bureaucratie.
Las, on sait ce qu’il en fut.
Une mutation de cette même bureaucratie en une classe ralliée au néolibéralisme le plus sauvage, faisant montre d’une avidité sans mesure.
Gorbatchev le réformateur avait échoué.
A l’Ouest, on voit en lui le chef d’État qui a mis fin à l’engagement en Afghanistan et à la course aux armements, qui a permis la réconciliation Est-Ouest et rendu possible la réunification de l’Allemagne, et plus généralement une dislocation de l’URSS sans trop d’effusions de sang. D’où ce prix Nobel à lui attribué.
Il semble que la Russie très majoritairement l’accuse d’être le liquidateur de l’URSS, donc de porter la responsabilité des malheurs qui s’en sont suivis pour le peuple russe et de la déqualification spectaculaire de la puissance du pays. Donc, si on en croit Poutine, il serait coupable, devant l’histoire et face au peuple russe, de “la plus grande catastrophe géopolitique du XXème siècle”.
Ce que de son côté confirme Xi qui voit en lui le “parrain du nihilisme” qui a détruit l’URSS de l’intérieur.
Aux États-Unis et en Europe on se garde bien de mêler aux hommages des interrogations pour savoir si à son égard on a tout fait bien. En 1991, lors du sommet du G7 à Londres, alors que l’économie soviétique était au plus mal et les prix du pétrole au plus bas, la demande de crédits présentée par Gorbatchev reçut une fin de non recevoir. Autant “verser de l’eau sur du sable” aurait décrété George Bush père. “C’était le sommet de la dernière chance” explique Andreï Gratchev alors conseiller de Gorbatchev.
On pourra longuement disserter sur la question de savoir si ce bureaucrate de haut vol, formaté dans la matrice stalinienne, avait les moyens de réformer l’État soviétique. Reste que son mérite est d’avoir provoqué une onde de choc qui a changé le monde.
Quant à l’ambiguïté de son destin personnel, elle se manifeste aujourd’hui de manière fascinante. Lui dont la politique a permis d’enclencher le long et difficulteux processus de l’indépendance de l’Ukraine, meurt à nouveau alors que la guerre de Poutine contre l’Ukraine ravage ce pays et change à nouveau la donne en Europe.
Il se dit que Gorbatchev vieux et diminué critiquait Poutine pour l’étouffement des libertés qu’il opère avec maîtrise et détermination. Mais avait approuvé l’annexion de la Crimée et se montrait compréhensif pour ses efforts visant à restaurer la grandeur passée de la Russie.
Ainsi va ce monde…
(in La Lettre d’ENSEMBLE, 8 septembre 2022)