Emmanuel Macron veut, s’il est réélu, repousser l’âge de départ à la retraite à 65 ans. Changement de registre, donc : il abandonne l’équité qui guidait, selon lui, le projet de système universel, pour se rabattre sur une modification paramétrique, le recul de l’âge, présenté comme une nécessité économique, la pandémie ayant dégradé les comptes. Il annonce aussi un geste pour les petites retraites : un minimum de pension de 1 100 euros mensuels pour les personnes ayant une carrière complète.
Rétablissons d’abord les choses sur ce prétendu geste : la loi de 2003, article 4, impose déjà que le minimum de pension pour une carrière complète soit égal à 85 % du smic… ce que le président Macron a négligé de faire appliquer durant son quinquennat ! Compte tenu du smic actuel (1 269 euros), le minimum légal est déjà aujourd’hui de 1 079 euros !
Ensuite, il est clair qu’un recul à 65 ans de l’âge de départ à la retraite serait très injuste pour de nombreuses catégories de salarié·es. Il ne pèserait guère sur la carrière des cadres, car ayant rarement commencé à travailler avant 22 ans, les 43 ans de cotisations exigés à partir de la génération 1973 les amènent déjà à 65 ans.
Mais pour une personne entrée en emploi à 18 ou 19 ans, ce recul signifie concrètement devoir attendre trois ans de plus en emploi… ou, comme souvent, au chômage ou en inactivité. D’autant plus que, pour de nombreuses personnes, les premières années de retraite sont vécues comme les meilleures, alors que, si elles devaient être travaillées, elles deviendraient les plus difficiles de la carrière. Rappelons que la prise en compte de la pénibilité des métiers, toujours promise lors des réformes de retraite, n’a toujours pas abouti.
De grandes inégalités
Mesure injuste encore, car s’il est vrai que globalement on vit plus longtemps – pas forcément en bonne santé et avec un allongement devenu aujourd’hui très faible –, l’espérance de vie n’est qu’une moyenne qui masque de grandes inégalités.
Ainsi, entre les 5 % les plus aisés et les 5 % les plus modestes, l’écart d’espérance de vie à 60 ans est de huit ans chez les hommes et de cinq ans chez les femmes. Ecart qui se retrouve donc dans la durée espérée de retraite. De plus, en faisant travailler plus longtemps ceux qui ont déjà un emploi, Emmanuel Macron laisse sur la touche 5,5 millions de chômeurs et ignore que la moitié des 59-62 ans sont hors de l’emploi.
Par ailleurs, l’argument de la nécessité économique ne tient pas. Le Conseil d’orientation des retraites (COR) indique que « malgré le contexte de la crise sanitaire et le vieillissement progressif de la population, les évolutions de la part des dépenses de retraite dans le produit intérieur brut (PIB) resteraient sur une trajectoire maîtrisée à l’horizon 2070 » (rapport de juin 2021). Le système de retraites a certes enregistré un déficit de 0,6 % du PIB en 2020, mais cette dégradation est conjoncturelle, due à la baisse des ressources liée à la baisse d’activité.
Le COR indique que, avec la reprise de l’activité en 2021, la part des dépenses de retraite dans le PIB devrait, dès 2022, retrouver un niveau proche de celui d’avant la crise. Si, quel que soit le scénario retenu en termes de gain de productivité du travail et de chômage, les soldes du système seraient légèrement meilleurs qu’anticipés en juin 2019, il n’en reste pas moins que la part des pensions dans le PIB est d’autant plus élevée que la productivité augmente faiblement. D’où l’acharnement à vouloir baisser le niveau absolu des pensions.
Temps de travail divisé par deux
L’argument récurrent – repris par Emanuel Macron – pour justifier les réformes de retraite est qu’il faut travailler plus puisqu’on vit plus longtemps.
Remarquons d’abord que l’augmentation de l’espérance de vie est déjà prise en compte puisqu’elle commande l’allongement régulier de la durée de cotisation exigée pour la retraite à taux plein : 42 annuités pour la génération 1963, 43 pour la génération 1973.
Cet argument répété à l’envi paraît de bon sens mais ne résiste pas à l’examen. L’augmentation de l’espérance de vie n’est pas nouvelle : elle est continue depuis le début du XIXe siècle, à part les interruptions dues aux guerres. Cet accroissement n’a pas empêché que le temps passé au travail – à la fois durée hebdomadaire et totale dans une vie – diminue régulièrement.
En France, du XIXe siècle à la fin du XXe, le temps de travail annuel individuel a ainsi été divisé par deux. Cela a été permis par un accroissement de la productivité horaire du travail supérieur à celui de la richesse produite.
Appauvrissement programmé
La conclusion est claire : le partage de la richesse produite permet que l’augmentation de l’espérance de vie s’accompagne d’une diminution du temps passé au travail. Le fait que les gains de productivité sont moins importants que précédemment rend d’autant plus décisive la meilleure répartition des richesses. Mais c’est précisément ce que refusent les dominants.
Aussi, la réforme prévue tourne à nouveau le dos au progrès. Un appauvrissement des retraité·es est programmé : alors que leur part dans la population va augmenter, la part de la richesse produite qui leur revient va baisser. Elle diminuerait de 14 % du PIB actuellement à une valeur comprise, selon les scénarios, entre 11,3 % et 13 % en 2070. Le COR l’indique explicitement : cette diminution résulte de la baisse des pensions rapportées aux revenus d’activité.
Les retraites ont pourtant déjà franchi un cap inédit dans la régression : la pension brute moyenne des personnes ayant liquidé leur retraite en 2019 est devenue inférieure à la pension moyenne de l’ensemble des retraités (Drees, 2021) ! Il est indispensable de stopper cette régression.
Le progrès ne consiste ni à appauvrir les retraité·es, ni à faire travailler plus longtemps les actifs, mais à augmenter les ressources du système (améliorer les salaires, en finir avec les inégalités de taux d’emploi et de salaires entre les sexes, supprimer les exonérations abusives de cotisations sociales, créer les emplois répondant aux besoins sociaux et écologiques, etc.). La campagne présidentielle doit être l’occasion d’évaluer les différentes propositions.
Jean-Marie Harribey, Pierre Khalfa et Christiane Marty sont coauteurs pour Attac et la Fondation Copernic de « Retraites : l’alternative cachée » (Syllepse, 2013)
- cette tribune a été publiée initialement dans le quotidien Le Monde