Montée des périls en Europe
Stop aux menaces militaires contre l’Ukraine !
Solidarité avec le peuple ukrainien !
« Nous ne sommes pas confrontés à une crise ukrainienne, mais à une crise russe » (Marie Mendras*)
Nous assistons depuis des semaines à une escalade militaire avec l’Ukraine comme enjeu. Elle nous ramène aux crises les plus graves de la Guerre froide : crise des missiles à Cuba (1962) et installation des euromissiles en Europe (SS20 d’abord auxquels répondirent les Pershing) entre 1977 et 1987). En massant des troupes et des armements considérables autour de l’Ukraine, Poutine a mis d’emblée la barre très haut. Ce faisant il a réussi à revigorer l’Alliance atlantique, renforcer le leadership étatsunien, conforter l’Union européenne, attirer des neutres vers l’OTAN et consolider la nation ukrainienne plus déterminée que jamais. A-t-il prévu le coup d’après, celui de la sortie de crise ? On peut en douter !
Quels sont les enjeux avoués ? Il s’agit de la part de Moscou, outre la négation de l’existence d’un peuple ukrainien distinct du peuple russe et de ses droits démocratiques, d’interdire à l’Ukraine – le souvenir de révolution démocratique de Maidan y est encore vif – de choisir en toute liberté ses alliances. Cela au nom d’une conception restrictive de la souveraineté des États de son environnement proche, qui rappelle la tristement célèbre doctrine de la « souveraineté limitée » de Leonid Brejnev. Au mépris du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ! C’est au peuple ukrainien qu’il appartient de décider de son destin, ni aux États-Unis, ni à la Russie !
L’aventurisme poutinien prétend se justifier par la nécessité d’empêcher toute nouvelle extension de l’OTAN. Il est vrai que l’OTAN s’est considérablement étendu vers l’Est. Cette avancée étant le produit à la fois des ambitions de l’impérialisme étatsunien et des aspirations des peuples des anciens pays satellites ou ex-républiques soviétiques ou ayant appartenu à l’empire tsariste avant 1917, à la protection du parapluie américain. Mais ce faisant elle ravivait au Kremlin un sentiment d’encerclement. Nœud gordien qui ne peut être tranché par la seule dissolution – certes nécessaire – de l’OTAN, mais aussi par la dissolution parallèle, réciproque, du nouveau bloc militaire russe que Poutine essaie de reconstituer depuis son arrivée au pouvoir en 2000. Et cela exige donc d’interroger la nature du pouvoir russe et sa politique d’hégémonie sur son environnement proche et ailleurs dans le monde (Moyen-Orient, Sahel…)
La Russie a pour objectif de remettre en cause un ordre mondial qui lui est défavorable. Recul des frontières vers l’Est et le Nord, avancée de l’OTAN du fait de l’intégration des pays de l’ex-bloc de l’Est, effacement diplomatique, régression militaire malgré la conservation d’un armement nucléaire considérable et recul économique du fait essentiellement d’une privatisation à marche forcée, tels étaient les caractères de ce déclin de la Russie dans la hiérarchie des puissances. Mais elle n’en est plus là.
Si les années Poutine ont été au début celles d’un très relatif relèvement économique, en particulier grâce à la richesse du sous-sol russe en hydrocarbures, sur le plan politique, les institutions ne sont guère qu’une façade. Une sorte de césarisme, qui n’est pas sans rappeler l’autocratie tsariste s’est mis en place, incarné par Vladimir Poutine, au pouvoir comme Président ou comme Premier ministre depuis 1999 et caractérisé par le rôle que jouent, alliés aux oligarques placés sous sujétion, à la tête de l’État les siloviki, hommes du FSB (l’ex KGB ), dont Poutine lui-même. Élections plus ou moins arrangées ou faussées avec une très faible participation, persécutions à l’égard des opposants, assassinats de journalistes, élimination de transfuges à l‘étranger, xénophobie et racisme, dont un antisémitisme larvé, largement répandus dans la société.
Un pouvoir despotique fondé sur un mélange de conservatisme et de nationalisme et utilisant toutes les armes à sa disposition : instrumentalisation de la mémoire de la victoire soviétique sur l’hitlérisme, restauration d’une puissance militaire de premier rang, exaltation de valeurs nationales immémoriales, dont la religion, utilisation des menaces intérieures (islamisme par exemple) et extérieures (OTAN), avec comme objectif central de rendre à la Russie, non sans se situer dans une continuité avec le stalinisme, sa grandeur passée.
Objectif atteint ? Il semble de fait difficile de contester que la Russie, sans retrouver, et de loin, la position qui était celle de l’Union soviétique avant 1991, soit désormais réapparue en tant qu’acteur avec lequel il faut compter sur la scène internationale. Une restauration de la puissance, certes partielle mais réelle, qui se traduit, outre celles qui sont menées par la milice mercenaire qu’est le « groupe Wagner », par des interventions militaires sanglantes en Tchétchénie d’abord, en Crimée et dans le Donbass ukrainiens ensuite (2014), puis en Syrie (à partir de 2015) sur laquelle la Russie a imposé par la guerre sa mainmise, en écrasant sous les bombes la population et l’opposition démocratique, et en s’instaurant en parrain d’un régime criminel.
En dernière instance c’est donc du côté des puissances qu’il faut chercher la clé. L’impérialisme américain d’abord, qui avec Biden cherche à démontrer sa fermeté et son leadership et renforce sa présence militaire, certes symboliques, dans la proximité de l’Ukraine, tout en affirmant, ce qui n’est pas rien, que la riposte serait économique et « dévastatrice ». Mais surtout du côté de l’impérialisme russe, en Russie même où se fait cruellement sentir l’absence de vie démocratique. Au pire, il est même possible de s’interroger sur l’isolement croissant d’un autocrate qui n’écoute plus que lui-même. C’est, in fine, au peuple russe de désamorcer l’hystérie nationaliste qui lie le bloc réactionnaire des siloviki et des oligarques, de promouvoir les revendications des jeunes, des femmes, du monde du travail, des multiples minorités nationales, de relancer les aspirations à la paix et de mettre fin à l’hystérie nationaliste dans une perspective internationaliste et altermondialiste. Car, devant cette crise et le risque d’une confrontation, les mouvements sociaux de toute l’Europe, de l’Atlantique à l’Oural, se trouvent devant la nécessité urgente de rechercher les moyens pour garantir la paix et le droit à l’autodétermination nationale des peuples menacés par ces puissances impérialistes.
Commission internationale d’Ensemble!, 15 février 2022
*Enseignante chercheuse, Marie Mandras est une spécialiste reconnue de la Russie