Un gouvernement en échec qui continue à détruire l’hôpital public
La nouvelle flambée épidémique liée au variant Omicron du SARS-CoV-2 se développe au plan international. Elle illustre le risque d’apparition de nouveaux variants entretenu par la circulation élevée du virus en particulier dans les pays n’ayant pas accès aux vaccins. Ses conséquences sur la mortalité des populations illustrent aussi concrètement l’impact des inégalités d’accès aux soins et notamment dans le domaine de la vaccination. Elle pose à nouveau avec acuité l’urgence d’obtenir la levée des brevets sur les vaccins.
Sa dynamique en France, comme ailleurs dans le monde, est exceptionnellement forte. Avec désormais plus de 350 000 contaminations par jour, la France est un des pays où l’épidémie se développe le plus vite. En semaine 52 (dernière semaine de décembre 2021), une très forte progression de la circulation du SARS-CoV-2 a été observée sur l’ensemble du territoire, en lien avec la diffusion très rapide du variant Omicron. Le taux d’incidence a atteint 1 908 cas pour 100 000 habitants, soit près de 2% de la population testée positive. Il s’élevait à 3 606 chez les 20-29 ans et 2 905 chez les 30-39 ans. Les plus fortes augmentations du taux d’incidence étaient observées en Outre-mer, notamment à Mayotte (870, +664%) et en Guadeloupe (1 218, +486%). Les nouvelles hospitalisations étaient en hausse dans la quasi-totalité des régions, plus marquée chez les moins de 40 ans, et particulièrement chez les moins de 10 ans1. La forte circulation virale dans la population infantile est source d’inquiétude en lien avec des complications, rares mais bien réelles, de myocardites et de syndromes inflammatoires poly-systémiques.
Néanmoins, d’après les premières études épidémiques et expérimentales, si Omicron est beaucoup plus contagieux, il semble générer moins de formes graves. Surtout, la vaccination, notamment avec un schéma vaccinal complet à 3 doses, permet en très grande partie d’éviter celles-ci (près de 25 fois moins de risques !). Réciproquement, les adultes non-vacciné.es forment une catégorie très largement surreprésentée dans les unités de soins critiques des hôpitaux français2. Cela a amené des médecins hospitaliers à tirer le signal d’alarme sur la situation d’un certain nombre de services. André Grimaldi3 a ainsi déclaré : « Aujourd’hui à l’hôpital, il y a un tri dont personne ne parle »4. Pointant ainsi l’impact de la saturation de certains services de réanimation dans les régions très touchées (Ile de France et PACA notamment, mais aussi aux Antilles par exemple) sur la prise en charge des malades et des urgences en général.
Or, selon les hypothèses les plus vraisemblables maintenant examinées par l’Institut Pasteur – un virus environ 80 % plus transmissible et 80 % moins sévère –, jusqu’à 5 200 personnes par jour pourraient être hospitalisées au pic de l’épidémie si la trajectoire actuelle ne s’infléchit pas. S’il apparaît qu’au retour des vacances de fin d’année les Français ont réduit de 10 % leurs contacts, le pic pourrait être réduit à 3 600 – soit le niveau atteint lors du premier pic de 2020 –, voire 2 500, si cette réduction est de 20 %5.
En France, la situation est donc extrêmement tendue à l’hôpital et dans certains services de réanimation. L’élargissement et le maintien à un très haut niveau de la couverture vaccinale demeure de ce point de vue un enjeu fondamental, dont on ne peut négliger l’importance dans la lutte contre la pandémie et ses conséquences pour la santé des populations et le système de soin. C’est cet enjeu qui justifie aussi que la mobilisation pour la levée des brevets sur les vaccins se renforce au niveau national, européen et mondial. Mais la situation de crise actuelle du système hospitalier en France, très grave, est directement la conséquence du bilan catastrophique du gouvernement dans la gestion de la crise sanitaire et de la destruction de l’hôpital public qu’il a implacablement poursuivie après les gouvernements qui se sont succédé depuis 2008.
En décembre 2019, avant même le déclenchement de la pandémie au niveau mondial, 600 chefs de services alertaient sur l’état de crise profonde de l’hôpital public en France et menaçaient de démissionner pour qu’on arrête de le considérer comme une entreprise6. Ils intervenaient notamment dans le contexte d’une épidémie de bronchiolite qui venait de saturer les services d’urgence pédiatrique et avait mis en danger la prise en charge de très nombreux nourrissons. Or, sur les quatre dernières années, ce sont plus de 17000 fermetures de lit qui sont intervenues dans l’hôpital public, dont 5 700 depuis 2020 et le début de la crise en France… La réponse du gouvernement aux revendications des soignant.es au moment du «Ségur de la santé» a clairement été une trahison ainsi qu’un déni massif des sacrifices consentis et des besoins considérables que la crise avait soulignés. Elle n’a produit aucune rupture avec les orientations qui avaient été prises depuis le gouvernement Sarkozy qui avaient conduit l’hôpital public au bord de l’effondrement. Au contraire, celles-ci ont été confirmées par le ministre de la santé.
Un plan d’urgence pour l’hôpital, un plan d’urgence pour l’école
La rupture radicale avec cette politique et la mise en place d’un véritable plan d’urgence pour l’hôpital public sont les vrais impératifs immédiats dictés par la situation. L’augmentation du nombre de lits associée aux embauches correspondantes de médecins, d’infirmièr.es, d’aides-soignant.es, etc., est une urgence. Pour restaurer la qualité des soins, mais également pour restaurer des conditions de travail acceptables pour les soignant.es. Mais aucun progrès dans ce domaine ne pourra être réalisé, non seulement sans une reconnaissance réelle des qualifications et une revalorisation véritable des salaires, mais sans une rupture avec les modes de « gouvernance » actuels de l’hôpital public. Non, l’hôpital n’est pas une entreprise ! Il faut mettre fin aux logiques managériales et financières qui se sont développées dans les deux dernières décennies. Il faut mettre fin à la bureaucratie gestionnaire et comptable, et au management brutal dont elle a amené le développement, avec sa cohorte d’aberrations dans la prise en charge des patient.es, de travail empêché et de souffrance par surcharge et perte de sens du travail. Il faut revenir au cœur de la mission de soin et permettre à tou.tes les soignant.es de la retrouver comme leur priorité professionnelle. Il faut rompre clairement et radicalement avec toute cette logique mortifère, avec sa cohorte de fermeture de lits, de services et d’hôpitaux, et leurs conséquences en termes d’explosion des inégalités d’accès aux soins et de discontinuité territoriale du service public.
Dans ce contexte d’urgence sanitaire, alors que l’hôpital public et ses agents sont au bord de la rupture, la force de la grève du 13 janvier dans l’éducation, avec des taux de grévistes rarement atteints depuis 20037 et une grande variété des catégories impliquées – professeur.es des écoles, directrice.eurs, enseignant.es du 2nd degré, personnel de vie scolaire (CPE et AED) et d’inclusion scolaire (AESH), personnels de santé et du service social, et même personnel de direction et corps d’inspection – témoigne du degré d’exaspération également très fort atteint dans ce secteur face aux inconséquences du ministre de l’éducation et du gouvernement.
Comme pour l’hôpital public, la crise dans laquelle l’école est plongée illustre la gestion à la fois brutale et incohérente de la situation sanitaire par le gouvernement et les conséquences des contre-réformes successives conduites depuis près de deux décennies. La mobilisation réagit à la radicalité des attaques conduites par le ministre de l’Education Nationale depuis 2017, avec leurs effets destructeurs pour le service public d’éducation, et au refus de changer de cap et de mobiliser les ressources supplémentaires à même de garantir une véritable continuité pédagogique et de lutter contre les inégalités scolaires que creusent la pandémie : plan ambitieux de recrutement assis sur une revalorisation des salaires, des statuts et des missions, moyens supplémentaires d’enseignement pour alléger les effectifs et assurer les remplacements, renforcement du service social aux élèves et du service de santé, renforcement des vies scolaires, etc.
Ainsi, la politique du ministre de l’éducation est une autre illustration, parmi les plus éclatantes, du refus du pouvoir de construire une réponse globale à la crise, mettant au cœur de ses enjeux la protection de la société dans son ensemble et le maintien des services publics et des protections sociales. Elle souligne l’urgence d’une réorientation radicale des politiques de santé, d’éducation, d’enseignement supérieur et de recherche, de solidarité et de protection sociale, etc. Dans ce contexte, le soutien dont la grève de l’éducation a bénéficié parmi les parents d’élèves et dans la population plus largement, témoigne aussi d’une exaspération grandissante dans la population. Elle manifeste un regain de la conscience que la gestion de la crise et de ses effets par le pouvoir est inefficace.
Un gouvernement discrédité auquel il faut opposer l’alternative d’une véritable démocratie sanitaire
Macron et le gouvernement sont à nouveau mis en difficulté par l’accumulation de leurs mensonges, de leurs inconséquences et de leurs manquements dans la gestion de la crise sanitaire depuis bientôt deux ans. Ils apparaissent toujours comme aussi incapables de construire une réponse globale, efficace et cohérente, face à la pandémie. La France, avec une couverture vaccinale dépassant les 77 %, atteint déjà un taux de vaccination très élevé8. Mais les limites de la stratégie vaccinale développée depuis l’été et assise sur le recours au passe sanitaire, soulignent aujourd’hui l’insuffisance des ressources et des moyens effectifs mis au service de l’élargissement de la couverture vaccinale en direction des populations les plus éloignées du système de santé, qui sont aussi très largement les plus pauvres et les plus isolées. Pourtant, dans le contexte d’une nouvelle flambée de contaminations liée à l’émergence du variant Omicron, il aurait été possible par exemple, pour un gouvernement animé par l’intérêt général et le sens du service public, de s’appuyer sur le maillage territorial des établissements scolaires, primaires et secondaires, pour relancer la campagne vaccinale et mener avec efficacité une politique « d’aller vers », en direction des enfants, des jeunes et des parents d’élèves encore non vacciné.es. Eventuellement en retardant la rentrée des congés de fin d’année… Parmi les 5 millions d’adultes non-vacciné.es en France actuellement, il n’y a pas, loin de là, que des militant.es ou des sympathisant.es des thèses hostiles à la vaccination et/ou rallié.es aux thèses conspirationnistes. Thèses que, rappelons-le, il faut combattre avec énergie et qui alimentent une dérive réactionnaire dans les mobilisations contre le passe vaccinal aujourd’hui, comme contre le passe sanitaire hier.
Mais, là où l’effort devrait porter sur l’urgence d’aller vers les oublié.es de la vaccination – les plus pauvres, les plus éloigné.es des grands centres de vaccination, les plus éloigné.es d’internet, les précaires, les Sans Domicile, les plus fragiles face au Covid-19 et les moins vacciné.es, notamment les personnes âgées – là où il devrait porter sur les moyens à mettre en œuvre pour élargir rapidement la couverture vaccinale chez les enfants, dont les chiffres d’hospitalisation grimpent significativement, là où il devrait porter à nouveau sur l’urgence de bâtir les gestes barrières avec les populations, il se réduit, après un nouvel acte de « gouvernance » solitaire de la crise par l’exécutif, à un « passe » imposé d’en haut par le gouvernement. Alors que dans le même temps, au plan international, il continue de s’opposer à la levée, même temporaire, des brevets… Pourtant, rompre avec le cadre actuel de propriété des vaccins, capitaliste et marchand, serait un élément décisif de renforcement de la confiance des populations dans les solutions vaccinales.
Le pouvoir cherche encore à se donner les apparences de la rigueur et de l’efficacité, et à s’exonérer de ses responsabilités dans la situation alors que Macron continue à gérer la pandémie de manière autoritaire, opaque et inefficace. Pour construire une alternative à cette mauvais gestion, avec la levée des brevets et la transformation des vaccins en biens communs, c’est une politique de santé publique globale, démocratique et égalitaire, contrôlée par la population, qu’il faut construire. Une politique qui s’adresserait à la société et à la population dans son ensemble en tenant compte de tous ses besoins. Bien que la vaccination demeure dans ce cadre une réponse centrale9, une telle politique sanitaire ne peut se limiter à une injonction du pouvoir à se faire vacciner.
1 Selon le point épidémiologique de Santé Publique France publié le 6 janvier dernier.
2 Si l’on considère les chiffres bruts publiés par la DREES, la proportion des non-vaccinés semblent beaucoup moins écrasante. Mais la taille des deux populations n’est pas égale. Chez les plus de 20 ans, la population non-vaccinée est neuf fois inférieure à la population vaccinée. En proportion de chaque groupe la part des hospitalisations en soins critiques est donc très inégale. En outre si le nombre d’entrée brute en réanimation des deux groupes est comparable, le nombre des sorties et la durée des séjours n’est pas la même. Ainsi avec un flux égal d’entrées, les non-vacciné.es finissent par être plus nombreux à terme. Cf cet article des « décodeurs » (le Monde du 4 janvier dernier) : https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2022/01/04/covid-19-la-majorite-des-patients-en-reanimation-sont-bien-non-vaccines_6108190_4355770.html
3 Professeur émérite de diabétologie au CHU de la Pitié-Salpêtrière. Auteur notamment avec Frédéric Pierru de « Santé : urgence », paru aux éditions Odile Jacob en Octobre 2020.
4 « A l’air libre » émission de Médiapart du 3 janvier 2022. Lien disponible sur le site.
5 https://modelisation-covid19.pasteur.fr/variant/InstitutPasteur_Complement_Analyse_Impact_Omicron_20220107.pdf
6 https://www.lejdd.fr/Societe/Sante/tribune-660-medecins-hospitaliers-se-disent-prets-a-la-demission-3937400
7 75 % dans le 1er degré, plus de 60 % dans le 2nd degré selon les organisations syndicales de l’éducation.
8 77, 7 % : part de la population de 5 ans et plus ayant un schéma vaccinal complet au 12 janvier 2022.
9Des rappels vaccinaux réguliers – dans des intervalles qui peuvent s’espacer en fonction de l’immunité acquise par la population, et pendant quelques années encore – sont ainsi une perspective hautement préférable à celle de voir mourir régulièrement une part significative de la population mondiale en raison de l’épidémie. Notre choix est donc clair et cette chance ne doit pas être réservée aux citoyen.nes des pays les plus riches.