Il y a exactement un siècle, le 12 mars 1921, naissait à Fegréac (44) Robert Cruau. Militant de la Quatrième internationale, Robert Cruau a été assassiné par la Gestapo à Brest le 6 octobre 1943.
Fils de Louis, facteur à Nantes, et de Louise qui très tôt éleva seule ses deux fils, dont le frère de Robert grand handicapé, Robert Cruau commença très jeune à travailler comme postier, d’abord aux Chèques Postaux puis à la Recette Principale de Nantes. Très vite il se syndiqua à la CGT et rejoint les Auberges de Jeunesse, nées dans la foulée du Front Populaire.
Celui que ses potes appelaient « culotte », car, dès que cela lui était possible, été comme hiver, il vivait en short, devint très vite un des membres actifs du groupe AJ de Couëron, animé par les Jeunes Socialistes. Entre le bilan du Front Populaire, la Guerre d’Espagne et la montée du nazisme, les débats politiques étaient vifs au sein du groupe des Ajistes. C’est à travers ces débats, notamment avec un instit vendéen de dix ans son aîné, Yvan Craipeau, que Robert Cruau fonda ses convictions révolutionnaires et rejoint, dès 1938, le Parti Ouvrier Internationaliste et la Quatrième internationale.
La déclaration de guerre en septembre 1939, puis l’invasion de la France par l’Allemagne nazie en mai 1940 – avec l’occupation de Nantes dès juin 1940 – conduisirent toutes les organisations ouvrières et de jeunesse à la clandestinité.
Le Pacte germano-soviétique, le Pacte Hitler-Staline, d’août 1939 et l’assassinat de Léon Trotsky le 20 août 1940, confortèrent Robert Cruau dans ses convictions révolutionnaires. Il n’a alors pas 20 ans et devient un des responsables de l’activité clandestine des trotskystes en Bretagne (C’est par un décret signé en juin 1941 que Pétain séparera la Loire-Inférieure d’alors de la Bretagne).
A Nantes, les militants de la Quatrième internationale ne sont qu’une quinzaine, tous très jeunes, mais très vite ils ont repris contact avec l’organisation nationale – que dirige notamment Yvan Craipeau – et commencent un travail de résistance et d’agitation dans les principales entreprises de l’agglomération, malgré la répression. En juin 1941, le jeune militant Elie Gruske, gagné au trotskysme par Robert Cruau, est arrêté à Nantes. Il sera déporté en 1942.
En octobre 1941, Marc Bourhis, militant de la Quatrième internationale et son ami Pierre Gueguin, ancien maire communiste de Concarneau qui a rompu avec le PCF au lendemain de la signature du pacte Hitler-Staline, sont parmi les 27 fusillés du camp de Choisel à Châteaubriant. Le journal clandestin La Vérité du 1er novembre 1941, journal que diffusent Robert Cruau et ses camarades, leur rend ainsi hommage : « La répression unit, la lutte doit unir. Deux trotskystes : Pierre GUEGIN, ex-maire stalinien de Concarneau, passé à la IVème internationale et Marc BOURHIS, militant de la IVème internationale, à Trégierre, ont été fusillés comme otages à Nantes, en même temps que des camarades stalinistes et des combattants gaullistes. Hitler et Stülpnagel, en unissant les ennemis du nazisme dans la mort, nous montrent la voie à suivre : celle de l’union dans la lutte pour la libération anti-impérialiste de l’Europe ».
A Nantes, les militant.e.s de la Quatrième internationale sont également au premier rang des mobilisations contre la déportation des jeunes ouvriers en Allemagne dans le cadre du STO, Service du Travail Obligatoire. Leur journal clandestin de décembre 1942, raconte longuement la résistance ouvrière à Nantes, saluant « Ces travailleurs(qui) ont su montrer ainsi qu’ils n’ont pas oublié Juin 36, ni renié l’idéal révolutionnaire ».
En juillet 1943, Robert Cruau et ses camarades publient un journal clandestin ronéotypé et distribué dans plusieurs grandes entreprise « Le Front Ouvrier, organe clandestin des ouvriers de la région nantaise ». L’éditorial du premier numéro exprime ainsi leur objectif « A la république des coffres-forts, des garde-mobile, ils opposeront la République des travailleurs. Il faut que la défaite d’Hitler soit une victoire ouvrière non la victoire des banquiers anglo-américains. Pour cela il faut que la classe ouvrière se rassemble dans un vaste Front-ouvrier. Le Front Ouvrier organisera la lutte contre la déportation en Allemagne, la grève perlée pour saboter la production de guerre nazie. Le Front Ouvrier organisera la lutte pour l’augmentation des salaires, pour le contrôle ouvrier du ravitaillement. Le Front-Ouvrier luttera pour instaurer un gouvernement ouvrier sur les ruines de l’hitlérisme ». Dix numéros de ce journal clandestin nantais seront publiés entre juillet 43 et janvier 1944.
En avril 1943, Robert Cruau et quatre de ses camarades nantais – les rezéens Georges et Henri Berthomé et les nantais Serge Tuauden et Alex Bourguilleau – rejoignent Brest et ses camarades du groupe local du POI. Pour échapper au STO et pour débuter un travail militant autrement délicat en direction des soldats allemands. De par son expérience et ses responsabilités politiques et du fait qu’il parle allemand, Robert Cruau est désigné responsable de ce travail de fraternisation. En plus du bulletin publié par la Quatrième internationale en direction des soldats allemands et diffués à Brest, « Arbeiter und Soldat », dès l’été 1943, un bulletin clandestin local en direction des soldats allemands est publié par le groupe du POI brestois « Zeitung fïr Soldat und Arbeiter im Westen » (Journal pour soldats et ouvriers à l’ouest).
Comme l’explique Wladeck Flakin dans le livre biographie de Martin Monath, juif allemand, dirigeant du travail militant de la Quatrème internationale en direction des soldats allemands – cet ouvrage sortira en français en septembre prochain aux éditions Syllepse – : « Les trotskystes voulaient transformer les soldats en sujets politiques, en combattants de la révolution socialiste – de la même manière qu’à la fin de la première guerre mondiale, dans toute une série de pays, les soldats avaient été à la tête du mouvement révolutionnaire ». D’où cette formule lue dans le journal brestois publié sous la direction de Robert Cruau : « Liquider le fascisme en liquidant le capital ».
Une vingtaine de soldats allemands auraient rejoint les groupes clandestins organisés par les militants brestois du POI.
Parallèlement à ce travail militant, Robert Cruau et ses camarades Georges et Henri Berthomé, qui travaillaient sous des noms d’emprunts à la Base sous-marine, transmirent à Londres des renseignements topographiques de 1ère importance notamment concernant l’emplacement exact des sas d’accès et de sortie des sous-marins de la base sous-marine pour que l’aviation britannique puisse frapper efficacement la marine allemande. En juin 43, la Royal Airforce bombardait la Base, avec une précision telle qu’elle sera rendue inopérante durant 2 à 3 mois. Peu de temps après l’ensemble des activités du groupe Front ouvrier sera cité à l’ordre de la France Libre par le Général de Gaulle et diffusé sur les ondes par ici Londres vers la fin juin ou le début juillet 43.
Suite à la trahison d’un soldat autrichien engagé dans le groupe allemand, la Gestapo lança une vague d’arrestation le 6 octobre 1943. Robert Cruau, connu par les militants allemands comme Max, et son camarade Georges Berthomé furent les premiers arrêtés. Alors qu’il était interrogé par les gestapistes, Robert Cruau tenta d’enjamber une fenêtre restée entre-ouverte. Les nazis ouvrirent immédiatement le feu et blessèrent grièvement Robert Cruau qui décèda quelques heures plus tard à l’hôpital de Brest. Dans le même temps, la Gestapo arrêta tous les soldats allemands membres du groupe animé par Robert Cruau, tous seront fusillés, ainsi qu’une vingtaine de militant.e.s du POI, en Bretagne et à Paris. La plupart seront déportés en camps de concentration, dont les deux frères Berthomé, Georges et Henri.
A la libération, la dépouille de Robert Cruau, « Mort pour la France » du fait des renseignements transmis à Londres, fut transférée au carré des fusillés du cimetière de la Chauvinière à Nantes. Mais il fallut attendre octobre 2013, soixante-dix ans après son assassinat, pour que son identité politique de militant de la Quatrième internationale soit publiquement reconnue et honorée lors d’un rassemblement au cimetière de la Chauvinière à l’initiative du Comité départemental du Souvenir des fusillés de Châteaubriant et Nantes et la Résistance en Loire-Inférieure.
Robert Cruau, Max, a consacré toute sa vie consciente au combat politique contre le fascisme, pour la fraternité humaine et le socialisme. En septembre 1943, dans un numéro du Front Ouvrier de Brest, sous le pseudonyme de Pleton, il publiait ce qui fut sans doute son dernier article sous le titre « Seul le Front Ouvrier assurera le pain, la paix, la liberté ». On y lit : « … Et puis, je n’ai pas oublié juin 36. Tu te rappelles ? On nous disait de « laisser faire les camarades ministres ». Cette fois-ci il faudrait encore laisser faire le camarade royaliste de Gaulle qui voulait, il y a sept ans, écraser les grévistes avec ses tanks, ou bien le camarde Giraud qui, il y a quelques années, ne se gênait pas pour clamer son admiration pour Musso… Si on veut nous donner à croûter, nous permettre de dire ce qu’on voudra et libérer nos copains, je demande pas mieux, mais crois-tu qu’il vaudrait pas mieux profiter du départ des Fritz pour nous en occuper nous-mêmes ? En commençant d’abord par bien comprendre que les fritz sont des prolos qui, comme nous, en ont marre et qui demandent pas mieux que de marcher avec nous contre Hitler.
C’est pas plus aux officiers fritz qu’anglais et américains qu’il faut faire confiance, c’est aux trouffions qu’il faut dégoiser les quelques mots qu’on connaît de leur langue, pour leur faire comprendre dès maintenant pour les premiers, lorsqu’ils seront débarqués pour les seconds, qu’on est prêt à marcher avec eux contre un seul ennemi qui est partout le même : le grand capital et ses larbins.
S’ils débarquent, il faudra immédiatement former nos comités ouvriers dans les chantiers et assurer immédiatement la liaison entre ces chantiers. C’est dès maintenant qu’il faut préparer ce réseau de comités qui couvrira Brest et sa région. Copain que ce canard va toucher il faut se mettre au boulot : le temps presse »…
En ce jour du centième anniversaire de sa naissance, qu’hommage lui soit rendu.
François Préneau. 12 mars 2021