La commémoration de l’assassinat d’Ilan Halimi vient peut-être de marquer le début des retrouvailles de la gauche antiraciste avec la lutte contre l’antisémitisme, estiment des militants proches du nouveau Réseau d’actions contre l’antisémitisme et tous les racismes, le Raar.
par Albert Herszkowicz, Mémorial 98 et Réseau d’actions contre l’antisémitisme et tous les racismes, Robert Hirsch, Réseau d’actions contre l’antisémitisme et tous les racismes, Mark Kaganski, Réseau d’actions contre l’antisémitisme et tous les racismes, Emmanuel Sanders, Juives et Juifs Révolutionnaires, Philippe Chamek, Mémorial 98, Léa Cohen, Juives et Juifs Révolutionnaires et Sarah Finkel, Juifves VNR
publié le 5 mars 2021
Le dimanche 14 février, à l’initiative de plusieurs mouvements, la commémoration du quinzième anniversaire de l’assassinat d’Ilan Halimi en 2006 a rassemblé des centaines de personnes venues de divers horizons de la gauche sociale et politique et de mouvements antiracistes. Ce rassemblement entraîne d’ores et déjà des réactions positives. Ce pourrait être le début des retrouvailles de la gauche avec la lutte contre l’antisémitisme.
En effet, depuis le début des années 2000, les Juifs et les Juives ont été abandonné·e·s par une partie de la gauche et des associations antiracistes. En février 2006, après la mort d’Ilan Halimi, une partie de cette gauche a même refusé de marcher contre l’antisémitisme, sous prétexte d’éviter la stigmatisation de certains auteurs du meurtre, eux-mêmes discriminés. A d’autres occasions, ce fut pour conditionner la défense des Juifs à des positionnements sur Israël et les Palestiniens. Lors du rassemblement du 14 février, nous avons tenu à rappeler cette inadmissible minimisation de l’antisémitisme.
Aujourd’hui, une nouvelle génération interpelle la gauche pour lui dire qu’elle ne supporte plus ce déni. Elle participe au grand mouvement antiraciste actuel pour crier : «les vies juives comptent». Voilà ce qui s’est affirmé ce dimanche au jardin Ilan-Halimi à Paris. Dans la lignée des alliances antiracistes, nous avons voulu montrer la nécessité de combattre ensemble tous les racismes, comme les organisations juives, qui aux Etats-Unis, ont crié «Black Lives Matter» après l’assassinat de George Floyd. Nous avons donc lu avec la même émotion les dix noms de Juif·ve·s tué·e·s depuis la mort d’Ilan et les dix noms de personnes victimes d’autres racismes. Une première réponse à notre démarche fut le message de soutien adressé par Assa Traoré à notre rassemblement.
Ceci illustre bien la particularité et la force de ce qui s’est passé le 14 février : il s’agit d’inscrire de manière indélébile la lutte contre l’antisémitisme au sein même du combat contre tous les racismes. Dans cet esprit, un nouveau mouvement, partie prenante des organisateurs du rassemblement pour Ilan, vient de se créer, le Raar, Réseau d’actions contre l’antisémitisme et tous les racismes. Son nom et sa déclaration d’intention le précisent : «Nous combattons l’antisémitisme d’où qu’il vienne, quels que soient ses prétextes, ses motivations et ses justifications. En participant aux luttes contre tous les autres racismes et en apportant notre solidarité à toutes leurs victimes.» Nous proposons ces principes à tous les mouvements qui entendent agir contre l’antisémitisme et les autres racismes. Réunissons-nous pour coordonner nos actions.
Le poison du racisme et de l’antisémitisme se répand, il a tué, il peut le faire encore. Portée par les racismes, l’extrême droite peut accéder au pouvoir. On sait ce que cela signifierait. On ne peut pas lutter contre l’antisémitisme en pactisant avec l’extrême droite de Marine Le Pen et de Génération identitaire. On ne peut pas s’accommoder de Zemmour, raciste invétéré, engagé dans une tentative de réhabilitation de Pétain. Il prétend, contre l’histoire, que le régime de Vichy aurait «sauvé» des Juifs de France. Ceux qui se montrent complaisants avec ces courants sont particulièrement acharnés à tenter de discréditer notre action, qui constituerait à leurs yeux une «récupération». De même, il faut combattre les discours de Dieudonné et consorts, ainsi que les propos conspirationnistes qui relaient un imaginaire sur la «domination juive».
L’antiracisme qui occulterait la lutte contre l’antisémitisme serait aussi délétère qu’une dénonciation de l’antisémitisme qui oublierait le combat antiraciste. Nous refusons ces logiques mortifères de mises en concurrence de nos mémoires et de nos souffrances. Nous proposerons des actions et des débats afin de faire vivre la fraternité et la solidarité face aux haines.
Nous avions perdu la gauche ces dernières années, nous la cherchions souvent en vain au détour des rues où nous marchions contre l’antisémitisme. Aujourd’hui nous nous retrouvons. Il ne faut plus se quitter. L’heure est à l’action et à l’unité des antiracistes, au combat commun et à la nécessaire fraternité.
(Cette tribune a été initialement publiée dans le quotidien Libération du 5 mars dernier)