. Sur nos épaules pèsent de tout leur poids le décompte des morts, l’enfermement, l’impossible projection. Qui ne sent pas la déprime, la peur et la stupéfaction qui gagnent chaque jour du terrain ? Ce qui nous fait plonger plus avant dans l’angoisse, c’est de constater l’incapacité de ceux qui nous gouvernent à faire face pour nous sortir de là. Ce n’est plus seulement qu’ils ne prennent pas le juste chemin, trop englués dans leur obsession néolibérale. Ils ne savent même pas mettre l’État au service de l’essentiel et la loi au profit du bien commun. Après le fiasco des masques, après le désastre des tests, voici le carnage des vaccins. La France, cette grande puissance économique mondiale, patine dans la semoule, laisse sa population en danger et dans l’effroi, subit une humiliation internationale. Que se passe-t-il ? Comment est-ce possible ? Nous sommes face à un pouvoir politique qui communique mais ne dirige pas. Et ça se voit. C’est même insupportable tellement cela se voit. L’incompétence au sommet de l’État nous plonge dans une forme de sidération. Les remises en cause grandissent sur le sens de notre organisation sociale, au point de rejeter parfois en bloc tout ce qui provient des institutions établies.
Avec l’accès aux équipements sportifs, aux lieux culturels, aux cafés et restaurants qui nous est interdit, ce n’est plus la vie mais la survie biologique qui devient notre boussole. C’est morbide. La jeunesse, âge d’ouverture au monde et de rencontres, est sacrifiée sur l’autel du couvre-feu et autres mesures barrières. Les étudiants sont enfermés dans des skype ou des zoom. Faute de jobs, nombre d’entre eux n’ont même plus les moyens de s’alimenter. Pendant ce temps, on ne compte plus les fermetures en chaîne des petites et moyennes entreprises qui ne tiennent pas le choc et les licenciements en masse opérés par des grands groupes qui voient dans la crise sanitaire un effet d’aubaine. Notre pays plonge dans une dépression sociale et économique dont nous ne percevons pas encore la lame de fond. Je pense sans cesse à tout ce que nous ne voyons pas encore. Les malades qui n’ont pu être soignés l’année dernière et pourraient mourir en 2021 faute de soins pris à temps. Le basculement dans le chômage et la pauvreté de millions de personnes. Les méfaits psychologiques et sociaux de cette période qui peuvent finir par conduire à des suicides, des dépressions, des maladies.
En dressant, fut-ce à gros traits, le paysage social et politique de notre période, j’ai l’impression de donner à broyer du noir. C’est toute la difficulté du moment quand on est lucide sur le désastre en cours et en colère contre le gouvernement. Il reste alors l’optimisme de la volonté. Je me le formalise en voyant les lucioles décrites par le grand écrivain et réalisateur Pier Paolo Pasolini. Ces insectes lumineux éclairent une nuit noire. Ce sont les lueurs survivantes des contre-pouvoirs. L’optimisme, je me le représente à la façon de l’artiste Niki de Saint Phalle transformant la violence subie en création, elle qui tire à la carabine et projette avec son arme de la peinture sur une toile. La transposition en politique de ces représentations artistiques, de ces gestes résilients, c’est la clé pour nous sortir de là.
Ne pas renoncer. Certainement pas. Ne pas accepter ce sinistre cours des choses mais penser, critiquer, proposer. Tracer un autre chemin, loin des sentiers rebattus de l’austérité budgétaire, de la concurrence, de la mise sous surveillance généralisée, de l’épuisement des ressources humaines et naturelles. Loin de cette poignée de dirigeants hors sol aveugles aux nécessités.
Clémentine Autain